Les Byzantins en Afrique du Nord, 534-698 (2/2)

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Retrouvez la deuxième et dernière partie de l’article consacré à l’histoire des Byzantins en Afrique du Nord. Gérard Crespo se tient à votre disposition pour toutes questions posées en bas de cet article.


“Après les victoires de 548, les Byzantins érigent des forteresses à Tubunae (Tobna), à Zabi Justiniana (M’Sila) à Sitifis, à Thagora.
Parallèlement à ces troubles internes à l’Afrique du Nord, Justinien doit faire face à des querelles religieuses au sein de l’Eglise divisée entre Orient et Occident. Soucieux de les résoudre, il convoque un concile œcuménique à Constantinople en 553 auquel assistent seulement neuf évêques originaires d’Afrique.
D’autre part, en Afrique du Nord, après quinze années de stabilité et de prospérité, la paix redevient précaire car en 563-565 et en 569,les Byzantins devront faire face à de nouvelles révoltes des Maures qui avaient été partiellement ou pas du tout christianisés.

En 591, l’empereur byzantin Maurice, animé par le souci de restructurer administrativement les provinces occidentales conquises par Justinien, crée l’exarchat de Ravenne en Italie, et l’exarchat de Carthage qui a autorité en Afrique du Nord et jusqu’en Espagne. La Tripolitaine pourtant proche géographiquement de la Byzacène (région de Sousse dans l’actuelle Tunisie centrale) et de Carthage est rattachée au diocèse d’Egypte. La Byzacène, la Proconsulaire et la Numidie(est algérien) gardent leurs anciennes limites. La Maurétanie Sitifienne (centre de l’Algérie) est une étroite bande littorale qui descend vers le sud jusqu’à sa capitale Sitifis. Plus à l’ouest la Mauritanie Tingitane (ouest algérien et Maroc méditerranéen) avec sa place forte Septem (Ceuta) et le sud de l’Espagne (Mauritanie gaditane) verrouillent le détroit afin de s’opposer à d’éventuelles invasions venues du nord de l’Europe. Le cumul des fonctions civiles et militaires confié à un exarque est rendu plus que nécessaire quand en 587 et en 595, Byzance doit faire face à deux soulèvements berbères(8). L’exarque est quasiment un vice empereur; il réside à Carthage sur la colline de Byrsa. Il exerce un pouvoir absolu et également autorité dans le domaine religieux. L’exarque Gennadius correspond avec le pape Grégoire le Grand dans la dernière décennie du VIème siècle.
Sous Maurice, l’Afrique du Nord byzantine est une puissance économique qui fournit du blé à Byzance et commerce avec les royaumes francs. Elle exporte du vin, de l’huile d’olive et des grains.

Empereur Maurice

La puissance de l’exarque de Carthage se révèle lorsque le successeur de Gennadius, Heraclius l’Ancien est capable en 608, de lever une armée et des fonds afin d’abattre l’usurpateur du trône de Byzance, Phocas qui a renversé et assassiné Maurice. Heraclius devient alors empereur et fonde la dynastie des Héraclides. Il meurt en 610; c’est son fils Heraclius le Jeune qui lui succède. Celui-ci doit faire face à la menace Wisigoth en Espagne et après la mort de Mahomet – en 632 – à partir de 635 à la menace arabe au Proche Orient. Heraclius aurait alors envisagé de transférer sa capitale à Carthage, l’Afrique du Nord connaissant une période de paix et de stabilité. Le patriarche Serge de Constantinople l’en aurait dissuadé.

Mais les cavaliers arabes se lancent à la conquête des territoires de l’Afrique du Nord. En 642, ils atteignent Barqa et Tripoli. En 647, ils sont aux portes de Carthage. L’exarque Grégoire le Patrice se porte au devant de l’ennemi, mais il est vaincu et tué à la bataille de Sbeïtla. A Timgad, une chapelle funéraire porte son nom : elle aurait été érigée l’année même de sa mort. Les Arabes franchissent même la frontière avec la Numidie et se portent devant Théveste. Cependant, il ne semble pas que l’occupation permanente de la Byzacène (Tunisie) soit la préoccupation première des Arabes qui se contentent de ravager et de piller la région. C’est ainsi qu’Hippone pillée et en partie incendiée au milieu du VIIème siècle, n’est pas occupée par l’envahisseur; elle servira de refuge en 698 aux populations chassées de Carthage. Le successeur de Grégoire, Gennadios II, assure le retrait des Arabes moyennant un lourd tribut. Les Byzantins se maintiennent donc, mais en 665, un second raid mène les troupes arabes devant Sousse. En 670, Oqba Ibn Nafi envoyé par le calife Muwiya attaque les Byzantins à Gabès et installe son camp en ce qui deviendra la ville de Kairouan. Milev est prise en 674 par Abou al Mouhajir un rival d’Oqba. A la suite d’une expédition qu’Oqba aurait mené jusqu’à la vallée du Chéliff, il est tué sur le chemin du retour à Tahouda ou Tabouda par un chef berbère, Koceïla en 681. Okba donnera son nom à la commune de Sidi Oqba (wilaya de Biskra) où il est enterré. Koceïla poursuit sa route jusqu’à Kairouan qu’il prend; les Arabes sont refoulés en Cyrénaïque. Mais en 683 Lambèse est attaqué par les Musulmans.

Malgré ces événements dramatiques, le christianisme reste vivace. Des reliques de martyrs sont déposés sous l’autel de l’église de Mila par trois évêques. Des églises sont encore construites aux abords de l’Aurès dans les années 640. Sous le règne de l’empereur Constant II l’église de Timgad est embellie et agrandie. Une basilique est construite à Sbeïtla avant la défaite byzantine; elle sera d’ailleurs incendiée lors de l’invasion musulmane.

En 695, les Arabes lancent une troisième invasion de la Tunisie et prennent Carthage. Mais la ville est reprise lors d’une attaque surprise menée par Jean le Patricien et Tibère III Apsimar. Repliés sur Kairouan, qu’ils avaient reprises aux Berbères, les Arabes menés par Hassan Ibn Numan conquièrent Carthage définitivement en 698. C’en est fini de la domination byzantine en Afrique du Nord; en 703, la reine berbère la Kahena qui opposait une farouche résistance aux Arabes meurt au combat. Auparavant le Byzantin Tibère III s’était enfui à Constantinople.”

Statue de Oqba Ibn Nafi à Biskra en Algérie


(8) Theophylacte Simocatta, Historiae, cité par Khaled Belkhodja, “l’Afrique byzantine à la fin du VIème et au début du VIIème siècle”, Revue des Mondes musulmans et de la Méditerranée, année 1970/ 8/ p. 55-65. Theophylacte Simocatta (vers 580- vers 630) est un historien byzantin né en Egypte; il a écrit Histoires sous le règne de l’empereur Héraclius, œuvre rédigée en grec ancien. Il a laissé également un corpus abondant de lettres.


Gérard Crespo

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