Les Byzantins en Afrique du Nord, 534-698 (1/2)

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L’historien Gérard Crespo nous propose aujourd’hui de revenir sur l’histoire des Byzantins(1) en Afrique du Nord.


“L’occupation vandale et les persécutions auraient contribué à une réduction du nombre des évêchés. C’est ainsi qu’en Byzancène (Tunisie), on ne compte plus que 43 évêchés en 646 contre 115 en 483. Il en est de même en Proconsulaire, 97 évêchés en 646 contre 170 vers l’an 500. En Numidie, leur nombre s’est également réduit, 27 évêchés en 540 contre 125 en 430. La Mauritanie Tingitane ne comptait plus que cinq évêchés en 660. Cela ne veut pas dire que le nombre de chrétiens avait diminué; au contraire, car les fidèles au concile de Nicée avaient résisté. D’autre part, même si l’arianisme recule consécutivement à l’invasion byzantine, les ariens se convertissent vraisemblablement à l’orthodoxie chrétienne. Mais l’occupation vandale avait porté des coups très durs à la hiérarchie ecclésiastique.
On connaît bien les conditions dans lesquelles le royaume vandale s’effondre, consécutivement à la victoire du général Bélizaire sur le roi vandale Gélimer, grâce à la relation qu’en fait Procope de Césarée(2), auteur d’une vaste fresque intitulée Les Guerres de Justinien. Constituée de sept livres, l’œuvre consacre les livres III et IV à la guerre contre les Vandales(3). Procope se veut à la fois témoin et historien. Historien subjectif; il qualifie les Vandales de “nation efféminée” et considère que les guerriers vandales “habitués au délices de la vie africaine ont perdu leur vigueur et leur courage d’antan”. Procope a accompagné Bélizaire dans sa lutte contre Gélimer et a assisté à la prise de Carthage par les Byzantins. Bélizaire prend également Milev et renforce les fortifications. Alors que Bélizaire doit rentrer à Constantinople, Procope demeure encore quelque temps aux côtés de Solomon nommé gouverneur militaire de l’Afrique byzantine. C’est Solomon qui reconstruit Timgad qui avait été ravagée par les Berbères peu avant l’arrivée des Byzantins. Il y fait élever une imposante muraille rectangulaire de 111 mètres de long sur 73 mètres de large. Lorsque ces remparts sont fouillés en 1900, ils laissent apparaître des murs de sept mètres de haut, signe que leur hauteur primitive était beaucoup plus élevée au VIème siècle. A proximité, a été découverte une pierre portant une dédicace à l’empereur byzantin Justinien. Une église est également construite, relativement importante puisqu’elle était longue de 18 mètres, abside comprise.

Bélisaire

Procope de Césarée

Timgad

Solomon vainc une première révolte maure en 534-535. On lui doit la réfection de la basilique de Théveste (Tébessa) et de ses remparts. Procope retourne à Constantinople pour assister au triomphe de Bélizaire. Quant à Solomon, il revient à Constantinople en 536.
Mais la conquête est imparfaite; les Byzantins contrôlent bien toute la Proconsulaire et une grande partie de la Byzacène, mais à mesure qu’on s’avance vers l’ouest, les deux tiers de la Numidie échappaient à la souveraineté byzantine. Quant aux trois Mauritanie, la Sitifienne, Césarienne et Tingitane, elles restaient à soumettre hormis quelques places littorales investies par Justinien comme Igilgilis (Djidjelli), Saldae (Bougie) et Caesarea (Cherchell).
Dans les régions soumises, les anciens propriétaires qui avaient vu leurs terres confisquées par les Vandales retrouvent leurs propriétés ainsi que les Eglises catholiques qui furent remises en possession de leurs domaines. Les objets sacrés leur furent restitués.
Un synode est réuni à Carthage en février 535. Il rassemble 220 évêques; l’objectif étant de rétablir le culte nicéen sur le territoire nord africain. L’arianisme, le donatisme et le paganisme sont interdits.
Hippone est renforcée défensivement avec une position avancée, Fussala, à l’est. Il en est de même de Théveste où est construite par Solomon, une citadelle (320 mètres de long sur 280 de large) et qui, déjà sous l’époque vandale avait vu s’élever des dizaines de tours pour prévenir d’éventuelles attaques des tribus des Aurès.
A Carthage, l’empereur Justinien fait construire une basilique consacrée à Saint Prime qui aurait été identifiée avec beaucoup de prudence comme une des basiliques Dermech par Paul Gauckler(4) lors de fouilles qu’il a menées en 1899. L’empereur aurait également fait édifier un monastère près du port de Carthage, monastère appelé le Mandrakion et qui avait été entouré d’un système de fortifications très puissant, à tel point qu’il était considéré comme imprenable. Ce serait Solomon, de retour en Afrique, qui aurait supervisé les travaux en 543-544.

Justinien

Mais entre 543 et 546, les Byzantins doivent faire face d’abord à une épidémie de peste puis à des révoltes de tribus maures non christianisées. On doit admettre que les divisions schismatiques de l’Eglise catholique et ses querelles religieuses, l’occupation vandale qui a miné la civilisation romaine, le repli vers l’intérieur du pays d’un monde berbère qui s’organise en petits royaumes souvent rivaux autour de puissantes citadelles et qui mal christianisé ou las des querelles théologiques revient vers un paganisme primitif, sont autant d’éléments qui font qu’on assiste à un progressif délitement des sociétés nord africaines. A cela, il convient d’ajouter que les Byzantins sont perçus comme des envahisseurs et que leur administration tatillonne, corrompue, le poids de la fiscalité – justifiée par l’occupation militaire – n’étaient pas tolérés par les autochtones. Jamais les Byzantins n’ont pu ou n’ont su créer une administration civile et militaire en associant les indigènes. Enfin, les Byzantins parlent grec ce qui constitue une rupture linguistique avec des peuples qui, outre leur langue(5), avaient assimilé le latin comme langue vernaculaire et de l’administration. Le pouvoir central, à Byzance, est loin, mal renseigné des réalités d’une contrée et d’une société qui lui sont totalement étrangères . C’est ainsi que les Byzantins subissent une défaite face aux Maures commandés par Antalas à Cillium, localité située à la frontière de la Numidie et de la Byzacène, bataille au cours de laquelle Solomon perd la vie.

Les Maures sont vaincus en 548 par le magister militum Jean Troglita à Utique près de Carthage(6), victoire qui apporte un certain répit aux Byzantins. Le plus ancien texte connu de cette victoire byzantine est celui du poète byzantin de langue latine né en Afrique, Corippe. Né vers l’an 500, il écrit un poème épique, la Johannide ou De bellis Libycis(7), dans lequel il relate les exploits des soldats byzantins emmenés par leur chef Jean Troglita, qui malgré une armée inférieure numériquement à celle des Maures réussit à les mettre en déroute. Corippe aurait récité son poème devant des notables de Carthage en 549. Il était vraisemblablement chrétien; son œuvre attaque fréquemment le paganisme des Maures et assimile l’empereur au Bon Pasteur. Certes Corippe est éminemment subjectif et son récit est à manipuler avec précaution, mais il demeure une source intéressante pour l’historien. Il fournit des détails sur la vie et les mœurs des populations nord africaines, et quant aux événements relatés, si on les compare à la narration qu’en fait Procope, on retrouve bien des similitudes. Corippe quitte Carthage pour Constantinople après 550 et rédige en quatre livres un Eloge de Justin le Jeune (In laudem Justini minoris) le successeur de Justinien. Il meurt vraisemblablement en 569.”


(1) Sur l’occupation byzantine en Afrique, un ouvrage ancien fait toujours autorité : Charles Diehl, l’Afrique byzantine, histoire de la domination byzantine en Afrique, 533-700,  éditions E. Leroux, Paris,1896.
(2) Né en 500 à Césarée (Palestine), décédé en 555 ou 565 à Constantinople.
(3) Bellum vandalicum, ouvrage traduit par Denis Roques  et publié par Les Belles Lettres (coll. La roue à Livres) Paris, 1990.
(4) Directeur des Antiquités de Tunisie entre 1894 et 1905.
(5) Le lybico-berbère ou le punique en Byzacène.
(6) voir à ce sujet le récit détaillé de cette révolte qu’en fait Philippe Richardot dans “la pacification de l’Afrique byzantine, 534-546” revue Stratégique, 2009 / 1-2-3-4/ (N°93-94-95-96) p.129 à 158.
(7) On possède un manuscrit de la Johannide découvert en 1814 par le cardinal Mazucchelli, bibliothécaire de la Biblioteca Ambrosiana à Milan. Il existe deux traductions en langue anglaise (1970 et 1988) et une traduction française de Jean-Christophe Didderen, Errance, coll. “Biblioteca”, 2007.

Gérard Crespo

A suivre la semaine prochaine …

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3 thoughts on “Les Byzantins en Afrique du Nord, 534-698 (1/2)”

  1. Merci une fois de plus à Gérard Crespo pour cette mise au point historique, sans oublier l’empereur Justinien l’auteur du premier “code civil” avec ses célèbres compilations ….redécouvertes au Moyen Age sous le nom de Corpus Juris Civilis, grâce à cette redécouverte le droit romain sera connu et enseigné dans les premières universités médiévales (Orléans, Montpellier, Naples, Salamanca…etc.).

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