Les Barricades d’Alger : 24 janvier – 1er février 1960

5/5 - (3 votes)

La semaine des barricades d’Alger demeure un événement tragique et sanglant qui a marqué durablement les mémoires. Avant de relater les faits, il convient de s’interroger sur les causes qui ont conduit des Français d’Algérie et des gendarmes français à s’affronter.

Il faut vraisemblablement lier ces journées dramatiques au discours de De Gaulle du 16 septembre 1959 dans lequel il évoquait pour la première fois « le droit des Algériens à l’autodétermination », droit qu’il justifiait dans un second discours en date du 26 décembre de la même année. Ces deux allocutions provoquent l’émoi chez les partisans de l’Algérie française convaincus d’avoir été abusés, et le trouble chez les militaires, qui, après les victoires sur le terrain tant dans le djebel qu’en milieu urbain, s’estiment trahis. Nombre d’officiers supérieurs avouent publiquement ne plus comprendre la politique du président de la république et vont jusqu’à affirmer qu’ils ne lui obéiraient plus inconditionnellement. Le plus célèbre d’entre eux en Algérie, et le plus populaire, le général Massu, connu pour sa réserve, confie pourtant ses doutes à un journaliste allemand. Il est alors privé du commandement du corps d’armée d’Alger et rappelé à Paris le 22 janvier 1960. Il semblerait que ce soit là l’étincelle qui mit le feu aux poudres.


De nombreuses organisations pro-Algérie française appellent à manifester le 24 janvier devant le Gouvernement Général pour que de Gaulle revienne sur son projet d’autodétermination et pour exiger le retour de Massu. Outre le sentiment d’avoir le soutien de l’armée, les manifestants savent que quelques jours auparavant, le premier ministre Michel Debré a écrit une lettre au délégué général Paul Delouvrier dans laquelle il disait : « l’Algérie est française depuis 1830… il appartient à tous les Français qu’elle demeure française ».
Il y a donc dans ces revendications la certitude d’une légitimité. Dans l’esprit des manifestants, Massu, Debré sont des personnalités tellement importantes qu’il est inconcevable que de Gaulle ne désavoue pas ses propos.
Parmi les responsables des manifestations, Pierre Lagaillarde, député d’Alger, occupe les facultés d’Alger avec 600 hommes armés. Joseph Ortiz installe son poste de commandement au milieu des Unités Territoriales. Des barricades sont édifiées. A la nuit tombante, des gendarmes mobiles tentent de les abattre. C’est alors que des coups de feu sont tirés ; la fusillade gagne en intensité ; lorsqu’elle cesse, on compte 14 gendarmes tués, et chez les manifestants, selon les sources, 7 ou 8 morts. Par ailleurs, et là encore, les chiffres souffrent de contestation 125 gendarmes blessés, ou 59 (!) contre 34 ou 25 du côté des manifestants.
Après la fusillade, un certain nombre de manifestants s’enferment dans un camp retranché sous l’autorité de Lagaillarde et de Ortiz ; ils sont alors ravitaillés par la population et quelques parachutistes.

Pierre Lagaillarde, janvier 1960 (AFP)


Le 26 janvier, de retour d’Alger, après un voyage éclair, Michel Debré déclare à Paris : « Il convient de donner des preuves que la France entend rester. Cette preuve, elle est donnée par l’affirmation que tous ceux qui, sur cette terre française, sont français, le resteront et que nul, jamais ne pourra, ni à leurs enfants, leur enlever, ni même leur contester cette qualité. Comment pourrait-il en être autrement, quand nous voyons chaque jour tant d’Algériens de toutes les communautés se dévouer pour la France ? ».
Le 28 janvier, dans son discours, Paul Delouvrier tend la main aux insurgés : « A l’heure que vous voudrez, nous visiterons l’Alcazar des facultés, nous serrerons la main à Ortiz et à Lagaillarde et à vous Sapin Lignière [chef des Unités Territoriales]…nous irons ensemble au monument aux morts pleurer et prier les morts de dimanche, morts à la fois pour que l’Algérie reste française et pour que l’Algérie obéisse à de Gaulle ».
Le 29, le colonel Bigeard adresse un communiqué à la presse oranaise qui sera lu du balcon du PC d’Ortiz : « Je pense en toute bonne foi, que les hommes des barricades représentent effectivement le peuple d’Algérie et n’ont agi que par désespoir. Que veulent ces hommes et l’armée qui combat ? La certitude que leur combat ne soit pas vain et que tous les doutes soient définitivement levés, que soient prises les mesures indispensables…Alors les barricades disparaîtront et, tous ensemble, nous pourrons terminer la lutte contre la véritable rébellion… ».

Barricades à Alger, janvier 1960 (AFP)


Comme on peut le constater, ce ne sont pas les soutiens qui manquaient aux insurgés.
Pourtant, le 29 janvier, à Paris, de Gaulle, en grand uniforme, prononce une allocution dans laquelle il défend sa politique d’autodétermination, rejette les prétentions du FLN et des « ultras de l’Algérie française », exige l’obéissance de l’armée.
Les insurgés sont alors profondément désorientés, d’autant que Paul Delouvrier et le général Challe élaborent secrètement des issues possibles de sortie de crise et les conditions de reddition. Mais la reddition est en réalité négociée à Paris entre le colonel Broizat du 1° RCP, le colonel Dufour du 1°REP et de Gaulle. Dans la nuit du 29 au 30, le général Ely informe Delouvrier et Challe que l’affaire des barricades est sur le point d’être réglée, en précisant qu’il est exclu d’utiliser la force. Pourtant Michel Debré, le 31 janvier, adresse un message à Delouvrier et Challe : « c’en est assez des adjurations lancées à la radio… des consignes qu’on négocie. Rien ne peut être pire que la défaillance de l’autorité. Celle-ci doit s’imposer à qui que ce soit, et s’il le faut par les armes ».

Discours du général de Gaulle le 29 janvier 1960 (AFP)


Dans la nuit du 31 janvier au 1er Février, le colonel Dufour informe les insurgés des deux options arrêtées à Paris : entrée des légionnaires dans le camp retranché ou sortie du camp de tous les insurgés avec leurs armes ; Lagaillarde devant se constituer prisonnier, il sera le seul à être poursuivi par la justice.
Lagaillarde choisit cette deuxième option. Certains insurgés profitèrent de la confusion, lors de la sortie pour s’enfuir.

Le procès se déroulera entre le 4 novembre 1960 et le 2 février 1961. Contrairement aux promesses du pouvoir, Lagaillarde n’est pas le seul à comparaître, puisqu’à ses côtés sont inculpés J.-C. Pérez, J.-J. Susini, J.-M. Demarquet et M. Ronda. Ils avaient tous été incarcérés. Après deux semaines de débat, ils sont mis en liberté provisoire ; ils en profitent alors pour s’enfuir en Espagne. J. Ortiz, R. Martel et J. Meningaud qui s’étaient enfuis lors de la reddition du camp sont également poursuivis par la justice.
Bien que défendus par des ténors du barreau dont Jacques Isorni et J.-L. Tixier-Vignancour, le verdict est lourd : Ortiz est condamné à mort par contumace, Lagaillarde à 10 ans de détention criminelle, Meningaud à 7 ans, Martel à 5 ans. Seul Susini bénéficie du sursis.

La semaine des barricades est la dernière illustration de l’ambiguïté à laquelle ont eu recours de Gaulle et le pouvoir à Paris. En affirmant qu’il se réjouirait de voir les Musulmans choisir entre différentes solutions « celle qui serait la plus française » et qu’il la soutiendrait parce qu’il considérait que c’était la meilleure, de Gaulle avait entretenu l’espoir. La fusillade du 24 janvier 1960 et le verdict du 2 février 1961 sonnèrent le glas de l’Algérie française et montrèrent le degré de forfaiture auquel de Gaulle pouvait s’abaisser.


Gérard Crespo

Étiquettes :

2 thoughts on “Les Barricades d’Alger : 24 janvier – 1er février 1960”

Laisser un commentaire