Gérard Crespo nous propose un rappel historique, en 2 parties, sur la décolonisation portugaise.
Bonne lecture !
« Pourquoi s’intéresser à la décolonisation portugaise en Afrique qui a commencé en 1974 ?
Il y a cinquante ans le Portugal entamait le processus de décolonisation qui conduisait à l’indépendance à la hâte de ses colonies africaines. Et l’historien découvre avec stupeur que l’Histoire se répète.
Comment en suis-je arrivé à m’intéresser à la décolonisation portugaise et aux « rapatriements » des Européens vers la Métropole ? C’est la lecture d’un roman, Le retour, de Maria Dulce Cardoso(1) qui fut une révélation. En effet, l’auteur relate les conditions de retour des Portugais vers la « Mère Patrie » en 1974 et 1975. Je découvrais alors qu’il existait bien des similitudes entre les départs des Français d’Algérie et les départs des Portugais d’Angola, du Mozambique et de Guinée Bissau. Par delà le roman, puisque je suis historien et que j’avais consacré un ouvrage aux rapatriements d’Algérie dans le Midi de la France(2), je décidais d’effectuer des recherches pour démêler la part du romanesque de la réalité historique.
Le contexte historique
A partir du début des années soixante, le Portugal se retrouve confronté à des manifestations et des mouvements de contestations dus à des partis indépendantistes qui se sont créés dans ces trois colonies. Ces partis reçoivent le soutien de pays africains nouvellement indépendants, la Guinée qui devient une base militaire arrière des guérilleros de Guinée Bissau, le Sénégal qui apporte un soutien diplomatique. Le Portugal se voit alors contraint d’augmenter ses effectifs militaires ; en Angola, au cours de l’année 1961, le nombre de soldats est multiplié par cinq ! Entre 1961 et 1974 ce sont 1 400 000 soldats portugais qui seront mobilisés sur tous les théâtres d’opérations africains ; parallèlement, les Portugais font appel à des troupes africaines, qui feront merveille grâce à leur excellente connaissance du terrain et des populations locales, car au sein des colonies des ethnies parlant des langues différentes se sont toujours affrontées, les soldats africains sauront aider les Portugais à jouer de ces divisions.
1974, un tournant pour le Portugal
Si, en Angola et au Mozambique les forces indépendantistes n’ont jamais, en une décennie de conflit, réussi à s’imposer militairement, il n’en est pas de même en Guinée Bissau où le PAIGC(3) a proclamé unilatéralement l’indépendance le 23 septembre de l’année précédente. Si elle est récusée par la Métropole, elle est reconnue par 80 Etats ; le Portugal est donc de plus en plus isolé sur la place internationale d’autant qu’un mois auparavant, le Conseil Mondial des Eglises décide de boycotter financièrement tous ceux, entrepreneurs ou organismes, qui décident d’investir dans les colonies portugaises. Malgré cela, rien ne prépare les ressortissants portugais d’Angola et du Mozambique à un éventuel départ. Dans ces deux territoires, les indépendantistes sont divisés et malgré la lutte qu’il mènent contre les forces portugaises, ils ne parviennent pas à constituer un front commun contre le colonisateur et ne sont à aucun moment en mesure de l’emporter militairement.
Poste de contrôle du PAIGC en 1974
Le 14 février 1974, le général de Spinola, ancien gouverneur de Guinée, publie une brochure intitulée Le Portugal et son avenir, dans laquelle il appelle publiquement à la création autour du Portugal d’une fédération d’Etats africains autonomes inspirée du Commonwealth.
Mais le 25 avril, 150 officiers et 2 000 soldats commandés par le major Otelo de Carvalho déposent le chef de l’Etat Marcelo Caetano et prennent le pouvoir. La junte militaire désigne le 15 mai le général de Spinola pour exercer les fonctions de président de la République.
Le 8 juin, à la stupeur des ressortissants portugais d’Angola et du Mozambique, les militaires au pouvoir à Lisbonne décident d’un cessez le feu en Afrique. Le 11 juin, Spinola déclare dans son discours d’intronisation que « les Portugais des colonies peuvent vivre tranquilles » et leur garantit la sécurité. Pourtant les deux gouverneurs nouvellement nommés rédigent des rapports informant que le climat social et politique est délétère et qu’il leur est difficile d’assurer leurs fonctions. Tous deux démissionneront quelques semaines plus tard.
En juillet-août l’Angola est le théâtre d’émeutes. La journée du 5 août à Luanda est la plus meurtrière et a été comparée par l’historien Marc Michel à la journée du 26 mars 1962 à Alger. Plus de 35 000 Portugais fuient l’Angola durant ces semaines tragiques. A Lisbonne le gouvernement est dépassé. La compagnie aérienne suisse Swissair met à la disposition de la Compagnie Aérienne des Transports Portugais (TAP) deux DC10. L’insécurité est telle qu’à la demande des autorités portugaises, les avions atterrissent de nuit et sans lumière! Le Diario de Lisboa titre en Une du 31 juillet, « la population de Luanda a peur ». C’est alors que certains notables d’Angola auraient été tentés d’orienter le pays vers une solution à la rhodésienne, c’est à dire de créer un Etat à gouvernement européen indépendant de la Métropole avec le soutien de minorités noires hostiles aux indépendantistes, mais aussi de Spinola toujours favorable à une fédération lusitanienne et qui les recevra en délégation le 27 septembre. Cette initiative entraînera sa démission consécutivement à des manifestations monstres à Lisbonne lancées par le Parti Communiste et le Parti Socialiste.
Soldats portugais dans la jungle d’Angola
Vingt jours auparavant, les accords de cessez le feu signés entre le gouvernement portugais et le FRELIMO parti indépendantiste mozambicain avaient provoqué à Maputo la descente dans la rue de manifestants -Blancs et Noirs- hostiles au processus d’indépendance et à la prise du pouvoir par le FRELIMO d’obédience marxiste. Le FRELIMO réagit violemment contre les opposants noirs – on dénombrerait plus de 80 morts et près de 500 blessés – avec le soutien passif de l’armée portugaise. C’est la panique chez les Européens, 15 000 partent au cours du mois qui suit, 85 000 au cours des six mois suivants. Au port de Lourenço Marqués les dockers noirs se mettent en grève pour ralentir, voire empêcher le départ des Portugais. Alors que l’indépendance n’est pas encore octroyée, les autorités portugaises ont confié le pouvoir à un gouvernement provisoire de transition constitué exclusivement de membres du FRELIMO qui lancent un programme de purges visant les opposants au marxisme.
Enfin, toujours en ce mois de septembre, Lisbonne reconnaît l’indépendance de la Guinée Bissau. Les nouveaux dirigeants s’illustrent tristement en laissant procéder à l’exécution sommaire de plusieurs centaines de soldats africains ayant servi dans les rangs de l’Armée portugaise. Toute comparaison avec les Harkis serait-elle hasardeuse ?
A ce stade, de notre article, le lecteur aura relevé les nombreuses similitudes avec l’indépendance de l’Algérie. Hâte et imprévoyance de la Métropole, inorganisation des départs, peur panique des Européens et leur fuite, massacres des opposants aux futurs dirigeants des pays nouvellement indépendants, complicité de la Métropole, massacre des soldats africains ayant choisi le mauvais camp. Hélas, ce n’est pas terminé.
1975, l’indépendance de l’Angola et du Mozambique
Le 15 janvier, les Accords d’Alvor du nom d’un village d’Algarve, après six nuits et cinq jours de discussions reconnaissent l’indépendance de l’Angola à la date du 11 novembre de la même année. A ce propos, on peut lire dans l’Observador du 19 septembre 1975, cette phrase ironique d’Helena Matos : « A Alvor, furent signés des accords que certains ne voulaient pas respecter, que d’autres ne pouvaient pas respecter et que de toutes façons ils ne pouvaient pas être appliqués ». Toute comparaison avec les accords d’Evian relèveraient bien évidemment de la malhonnêteté intellectuelle !
Le 25 juin, est proclamée l’indépendance du Mozambique. Durant le mois qui précède, le leader indépendantiste Samora Machel effectue un périple dans le pays, périple au cours duquel il prononce une série de discours violemment lusophobes, attisant la colère des populations noires contre les Portugais. Le 26 juin, le nouveau ministre de l’intérieur mozambicain promulgue un décret ordonnant aux Portugais d’adopter la nationalité mozambicaine dans les 24 heures ou de partir avec 20 kilos de bagages. L’ordre est resté célèbre sous l’appellation 24-20. Les Portugais fuient le pays; le gouvernement fait alors appel à des cadres originaires des pays d’Europe de l’Est. Le 24 juillet, le président Machel ordonne la nationalisation des terres. En septembre, les différentes radios sont supprimées et remplacées par une radio d’Etat. En octobre, une police politique est créée, chargée de traquer les opposants à la révolution communiste en marche. Certains d’entre eux sont pourchassés jusqu’au Kenya voisin, ramenés au Mozambique et exécutés sommairement.
Mais depuis le mois d’août, c’est la panique en Angola. British Airways, South Africa Airways, Swissair envoient des avions à Luanda pour évacuer tous les ressortissants européens. »
Samora Moisés Machel
Tissu avec Samora Machel et sa seconde épouse Josina
Le texte « Samora e Josina – do amor nasce a mais bela flor » signifie : Samora et Josina – L’amour naît de la plus belle fleur