Retrouvez la deuxième partie de l’article de l’historien Gérard Crespo. Il se tient à votre disposition pour toutes questions posées en bas de cet article.
“Les rapatriements
Tout d’abord, comme pour les Français d’Algérie, le terme rapatriements est sujet à contestation. En France, certains ont avancé le terme de “repliements”. Concernant les pieds noirs, d’autres ont parlé de réfugiés.
Il en est de même au Portugal où le terme qui prévaut est celui de “retornados” littéralement ceux qui sont retournés “au pays” terme éminemment contesté par les intéressés. D’autres mots sont employés, “déplacés”, “fugitifs”… Par commodités, j’utiliserai celui de “rapatriés”.
Les rapatriements des Portugais d’Afrique en 1974-1975
En 1974, on estime à 550 000 personnes – estimation basse – la population portugaise en Afrique. Le chiffre de 700 000 est avancé mais nous semble excessif. On a vu qu’en 1974, plusieurs dizaines de milliers de Portugais avaient fui l’Angola et le Mozambique, mais c’est entre mai et novembre 1975 que les départs furent les plus massifs. On a enregistré 905 vols durant 84 jours entre Luanda et Lisbonne. Un deuxième aéroport est ouvert à Nova Lisboa, la deuxième ville d’Angola ; en deux mois près de 60 000 personnes sont évacués à partir de ce petit aérodrome. Les conditions d’accès aux aéroports sont dangereuses ; de nombreux enlèvements de Blancs sont signalés, nul n’osera faire un parallèle avec l’Algérie du printemps 1962 ! Parfois, un convoi militaire accompagne les fugitifs qui se sont rassemblés en longues files sur les routes. L’attente dans les halls d’aéroports dure plusieurs jours. Les rapatriés partent avec 5 000 escudos en poche – change imposé par Lisbonne – et 30 kilos de bagages maximum. Le transport aérien est très long, car faute de pouvoir s’approvisionner en carburant, les avions effectuent des escales dans des capitales africaines. Lorsque l’accès à l’aéroport est impossible, certains s’embarquent sur des chalutiers qui tenteront la remontée de l’océan Atlantique vers Lisbonne. Nombreux sont ceux qui n’arriveront jamais à destination.
Départs de Lourenço-Marquès (Mozambique)
Arrivée à Lisbonne
Les conditions d’accueil au Portugal sont épouvantables. Des hôtels son réquisitionnés le long de la côte atlantique ; certaines familles y résideront plusieurs mois. Des préfabriqués sont construits à la hâte ; ils sont destinés à être des hébergements provisoires, mais le “provisoire” durera ! (comme en France !). Le Gouvernement portugais rédige à la hâte un décret I.A.R.N. qui prévoit la création d’un institut d’aide aux retours des nationaux afin de faire face “à un éventuel afflux des retours” de leurs compatriotes. On croit relire les propos de monsieur Boulin treize ans auparavant. A leur retour, les “rapatriés” constatent que des bagages ont disparu (surtout ne pas comparer la situation avec celle des rapatriés de Marseille !) ; ils doivent faire face à des refus de chauffeurs de taxi de les transporter si la course n’est pas assez longue. Des commerçants indélicats augmentent considérablement les prix. Et même, un homme politique, futur président de la République, membre du Parti socialiste, je cite Mario Soares déclare : “Qu’allons nous faire de ces Blancs ? Lancez les aux requins.”
A la question : “Qu’allons-nous faire de ces Blancs?”
Mario Soares répond : “donnez-les aux requins”
Malgré toutes ces difficultés, les “rapatriés” font preuve de dynamisme et s’intègrent dans la société métropolitaine. Il faut souligner que l’arrivée de plusieurs centaines milliers de personnes contraints le gouvernement à investir dans les services. Parallèlement, les secteurs du bâtiment et des travaux publics connaissent un essor conséquent.
Notons que plusieurs dizaines de milliers de personnes choisirent le Brésil ou la République Sud Africaine voisine.
On ne saurait conclure sans rappeler que les forces armées africaines ayant servi dans l’armée portugaise furent lâchement abandonnées par le gouvernement lisboète. En Guinée Bissau, nous l’avons dit, plusieurs centaines de soldats furent massacrés. Au Mozambique, pays marxiste, ils furent internés dans des camps de rééducation et après deux ou trois ans durent faire publiquement leur autocritique. C’est en Angola qu’ils furent les plus chanceux, les trois mouvements indépendantistes qui se disputaient le pouvoir et qui plongèrent le pays dans une longue guerre civile, cherchèrent à s’attirer leurs services et les recrutèrent.
Manifestation de rapatriés : Nous ne voulons pas d’hôtels. Nous voulons des maisons et du travail