J’avais fort envie de retourner à Constantine, ma ville natale et ma femme, tout autant ; mais elle craignait que ce retour fût comme une allégeance donnée au FLN avec, en prime, la condescendance très affectée de nos « vainqueurs »…
Finalement, elle a accepté de faire le saut lorsque nos enfants nous ont dit qu’ils seraient ravis de faire le voyage avec nous pour enfin connaître notre pays dont ils avaient tant entendu parler.
Nous voici donc en possession des billets pour Constantine.
Lorsque des hublots nous aperçûmes le sol algérien, un sol vallonné, plein de douceur, ma femme ne put retenir ses larmes…
Nous atterrîmes sur l’aéroport d’Aïn El Bey ; une jeune femme de la Sécurité Douanière me demanda si c’était la première fois que je venais en Algérie ; oui, lui répondis-je, mais j’eus envie de lui dire que c’était la deuxième fois, car la première fois c’était le jour de ma naissance…
Une affiche m’émut ; on y lisait “ Bienvenue dans votre pays” ; bien sûr, cette apostrophe ne s’adressait pas aux Français, mais peu importait.
Un ami algérien nous attendait à l’aéroport.
Par dessus les vieux conflits, les mains s’étaient tendues et les cœurs s’étaient rapprochés…
Nous arrivâmes chez lui ; sa femme était là pour nous accueillir, une vague d’émotion submergea ces deux amies d’autant plus que ma femme avait eu le plaisir de s’occuper parfois de Soraya sa jolie petite fille de deux ans !
Nous n’avons pas été déçus en revoyant notre ville, bien qu’elle ne se soit pas vraiment embellie malgré quelques belles réalisations.
Une des fiertés de Constantine, le Casino, avait été détruit pour d’obscures raisons pécuniaires. L’Ascenseur du Boulevard de l’Abîme qui s’enfonçait à travers six cent mètres de rocher ne fonctionnait plus ; on ne pouvait donc plus accéder au pont des Chutes ; les trois piscines de Sidi M’Cid étaient à sec ! Le jardin de l’avenue Liagre où de nombreux vestiges romains étaient exposés avait été détruit. La place du Palais était en restauration depuis… trente ans ! nous dit un Algérien. Les parterres de fleurs, en bas de l’hôpital, sur les flanc du Rhumel n’existaient plus.
Mais fort heureusement pour le folklore, on vend toujours des cigarettes au détail, place de la Brèche !
Par contre, la Grande mosquée est un vrai joyau avec ses deux minarets en dentelle qui s’élancent vers le ciel ainsi que la splendide cité universitaire de la ville nouvelle.
Le premier soir, nous sommes allés à la place de la Brèche ; elle était comme plongée dans une ambiance onirique… le crépuscule s’installait et une douce lumière orangée commençait à l’éclairer ce qui mettait en valeur le nouveau pavage. Au loin , s’étendait l’immense plaine du Hama.
Je revoyais l’endroit où de Gaulle avait prononcé le discours de Constantine ; au delà, face au Crédit Foncier, surgit l’ombre de Jacques Soustelle qui était venu faire ses adieux à l’Algérie… et des glaciers étaient là pour proposer des créponnés ,“comme avant”…
Constantine est devenue une ville de un million d’habitants ; la rue Caraman, la rue Rohault de Fleury, la rue Pinget sont submergées par une foule de promeneurs. Les magasins se sont multipliés, mais Le Globe est fermé depuis le départ des Français.
Le cimetière est bien entretenu ; nous avons pu retrouver les caveaux de nos ancêtres et le gardien avait ouvert les grilles, spécialement pour nous après avoir consulté les registres qui remontaient à 1934 ; ma femme put ainsi se recueillir sur la tombe de son grand père encore décorée par des couronnes de perles de l’époque…
A l’extrémité du Pont Suspendu, vers l’hôpital, on peut emprunter un téléférique qui nous amène au faubourg Lamy ; les calèches ont disparu…
J’ai revu la cour de ma maison et ma femme a été accueillie par le directeur de l’école où elle avait enseigné. Avec une très grande émotion, elle est entrée dans l’appartement de fonction attribué à son père, directeur de cette école, l’école Aristide Briand, rue Ledru Rollin.
J’ai revu l’atelier de mon père, ferronnier, rue du 26ème ligne ; c’est aujourd’hui une friperie. Rue Casanova, j’ai pu faire admirer à nos enfants les grilles que leur grand-père avait réalisé pour la banque algérienne.
Le collège moderne de garçons au Coudiat a maintenant un aspect massif ; l’entrée est barrée par un mur très important ; il s’agirait d’un centre culturel. Le lycée d’Aumale et le lycée Laveran ont toujours le même aspect. Un détail qui amusera tous les anciens lycéens ; la petite porte de service face au Rhumel et par laquelle Aron, professeur de physique, lui même de petite taille, s’était donné l’autorisation de passer, était toujours là…
Une immense ville, près du Kroubs, a été construite, en partie par des maçons algériens et en partie par des Chinois… Bien que Constantine, comme toute l’Algérie, connaisse un très important chômage, il est quand même fait appel à une main-d’oeuvre étrangère ! Le socialisme de Boumédienne aurait rendu fainéants les Algériens… ils ne veulent plus travailler m’a t-il été dit par un Algérien. L’Algérie pourrait pourtant vivre aisément ; elle a tout pour elle, notamment une jeunesse très nombreuse, extrêmement nombreuse ; « il n’y a de force que d’hommes », comme l’on sait. Ceci dit, les Algériens paraissent heureux .
Nous avons été accueillis comme des princes lorsque nous disions que nous étions des Français d’Algérie et ce depuis trois générations. Des Algériens de tous âges nous confièrent leur nostalgie de « l’avant »… en ajoutant « l’Algérie est un pays riche, ne serait-ce que par son pétrole, mais pauvre, parce que mal gérée ; par contre, « La France, elle, elle savait bien gérer »… ce fut comme un leitmotiv.
Si des Algériens me lisent, je les remercie de tout cœur pour leur accueil.
Sans nos enfants, qui ont été séduits par Constantine, ce pèlerinage n’aurait pas eu la même densité affective.
Avant de retrouver ma ville natale, je l’imaginais ; ce n’était qu’un rêve, sans réalité donc. J’ai revu Constantine, le rêve alors était devenu réalité ; les deux visions se superposèrent… se mélangèrent… mais Constantine était là, devant mes yeux, bien réelle et puis j’ai repris l’avion ; Constantine est de nouveau rentrée dans le domaine du rêve.
Constantine, d’avant mon retour… Constantine, devant mes yeux… Constantine, aujourd’hui, quand je l’évoque…
Mais où est Constantine ? à la manière de cartes que l’on bat, les visions se mélangent… se superposent…
Constantine est de nouveau rentrée dans l’imaginaire.
Nous étions partis à la recherche du temps perdu ; nous l’avions retrouvé, mais aujourd’hui, ce temps retrouvé s’en va… s’en va.
Au revoir Constantine…
Eliette et Luc Elmlinger
Merci pour ce beau témoignage, sincère et émouvant, qui donne envie de mieux connaître Constantine, la ville suspendue. Un bel héritage transmis à vos enfants.