L’Islam aux origines du nationalisme algérien (1/3)

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Pour cette rentrée MNT, nous avons l’immense plaisir de vous faire partager ce nouvel article de l’historien Gérard Crespo. Il se décomposera en 3 parties que nous posterons chaque semaine.
Pour rappel, vous pouvez retrouver sur notre site les ouvrages de Gérard Crespo consacrés aux Italiens en Afrique du Nord aux XIXème et XXème siècles et aux Espagnols en Afrique du Nord aux XIXème et XXème siècles.
Bonne lecture !


“Le 18 mai 2016, Mélanie Matarese, journaliste française vivant en Algérie et co-fondatrice de El Watan weekend, déclare : « En réponse au colonialisme dans son entreprise d’effacement de l’identité algérienne, le mouvement national, depuis Messali Hadj, a organisé son combat dans l’attachement à la religion ».
Le mouvement national algérien a donc organisé son combat contre la France dans l’attachement à la religion.
Quelle religion ? L’Islam ? Bien sûr. Mais quel Islam ? L’Islam n’est pas monolithique, il est pluriel. D’autre part, pourquoi remonter aux années 1920 et ne pas s’intéresser aux combats qu’ont mené les Algériens au XIXe siècle contre les Français ? Ces combats n’auraient ils pas été mené au nom de la religion ?
Dans une première partie, nous tenterons d’éclairer le lecteur sur l’état de l’Islam en Algérie entre 1830 et 1914 et le rôle qu’il aurait pu jouer dans les grands soulèvements de cette époque. Dans une deuxième partie nous consacrerons notre étude au court XXe siècle (1918-1962) qui voit le renouveau de l’Islam.

L’Islam Soufi
L’islam algérien du XIXe siècle est un Islam Soufi. Le Soufisme est une voie d’élévation spirituelle par le biais d’une initiation, le tariqat. Les Soufis sont organisés en confréries fondées par des maîtres spirituels, les chayks qui sont les directeurs spirituels et temporels de l’ordre et dépositaires de la connaissance. Ils sont secondés dans leurs fonctions par des moqqadem. Les fidèles sont des « frères », ou des kwans ou khouans. Parmi les frères, il arrive qu’un personnage particulièrement pieux, doté de pouvoirs thaumaturges, respecté pour sa sagesse et ses avis, soit vénéré par les foules : il s’agit du marabout. A sa mort, il est fréquent que soit élevé à l’emplacement où il officiait un monument éponyme. Les foules s’y rendent, parfois en pèlerinage, dans l’espoir de miracles. Enfin le territoire de la confrérie est émaillé de zaouias, édifices qui peuvent rassembler plusieurs bâtiments : une mosquée, une medersa, une salle de rencontres et d’échanges qui au XIXe siècle pouvait héberger pour une nuit des pèlerins ou des voyageurs. Ces confréries avaient fait l’objet d’une étude en 1847 par un officier français arabisant, le capitaine De Neveu. Cinquante ans plus tard, un administrateur français en Afrique étudie lui aussi ces confréries : il s’agit de Xavier Coppolani, ami et compagnon de route de Robert Randau. Au XIXe siècle 23 confréries sont dénombrées en Algérie. Les plus importantes sont :
– La Qadiriya qui soutiendra Abd el Kader dans sa lutte contre les Français; lequel Abd el Kader s’autoproclame “Commandeur des Croyants”.
– Contemporain d’Abd el Kader, Bou Maza soulève le Dahra en 1845 et se proclame le « Maître de l’Heure » (Mulay Saâ). Dans le Coran, l’Heure Dernière est l’épreuve inévitable qui surviendra à un moment connu de Dieu. Ce moment s’accompagne de l’espérance d’un Messie attendu et dont la venue annonce le jour du jugement dernier et l’espérance de l’avènement d’un monde de justice et de paix après la défaite de l’Antéchrist. Ailleurs dans le monde musulman le Maître de l’Heure peut être appelé Mahdi. Bou Maza aurait obtenu le soutien de la confrérie Tayibiya. Comme Abd el Kader, il se rend aux Français et est exilé en France.
– La Rahmaniya est une confrérie très importante numériquement; elle aurait compté 140 000 adeptes hommes et 14 000 femmes. En 1871, elle apporte son soutien à la révolte de Mokrani.
– La Chaikiya, confrérie du sud oranais, soutient Bou Amama dans sa révolte en 1881; vaincu, il se réfugie dans le Touat au Maroc et fonde une zaouia.
– En 1898, Xavier Coppolani est assassiné à Tijigja en Mauritanie par un membre de la confrérie Goudfia. A la même époque, Mâ el Aïnin tente de fédérer toutes les confréries de cette région; il s’autoproclame Mahdi.
– En 1911, les cheikhs Ben Yelles et Benziane lancent une fatwa afin d’inciter les jeunes algériens à refuser la conscription et à se révolter. Ben Yelles avait en 1908 fondé une zaouia dépendante de la confrérie Derkaoua à laquelle appartenait Messali Hadj. Benziane a quant à lui apporté son soutien à Bou Ammama; il est alors contraint de s’exiler au Maroc, puis en Syrie. De retour en Algérie, il prêche alors la résistance contre les Français; il est incarcéré en 1899. Après sa libération, il poursuit son activité anti française au Maroc. Il revient en Algérie en 1910. A nouveau arrêté en 1911, il est assigné à résidence à Oran où il fonde une zaouia. Trente ans plus tard, c’est en ce lieu que sera créée la section oranaise de l’O.S. (Organisation Spéciale).

Le cheikh Ben Yelles

– En 1915, la confrérie la Senoussiya(1) soulève les tribus du sud lybien contre les Italiens. La révolte gagne le Sahara français jusqu’aux confins du Niger. Il faudra toute l’énergie des Méharistes pour réduire la révolte après deux années de durs combats en 1917. C’est cette confrérie qui aurait commandité l’assassinat du Père de Foucauld en décembre 1916.

Enfin nous rappellerons que régulièrement au cours du XIXe siècle se produisent en Algérie des exodes de plusieurs centaines de Musulmans désireux de fuir une terre occupée par des Infidèles et de gagner une terre d’Islam, souvent le Moyen Orient, parfois le Maroc. Ce type d’exode religieux s’appelle la Hijra.
Comme le lecteur peut le constater, l’Islam est indissociable des mouvements de révoltes contre les Français, mais aussi contre les Italiens en Lybie. Rappelons que les Britanniques au Soudan entre 1881 et 1884 avaient dû faire face à une révolte de grande ampleur menée par Muhammad Ahmad autoproclamé Mahdi.

Muhammad Ahmad

Force est de constater que toutes les révoltes contre les Infidèles ont échoué. L’Islam soufi ou Islam des confréries qu’on appelle aussi l’Islam de la résistance a été partout mis en échec. La tentation est grande parmi les Musulmans de croire qu’il s’agit de la volonté de Dieu. D’autant qu’un nouvel événement survient en 1924 qui accable le monde musulman : l’abolition du Califat par Mustapha Kémal. Le sultan de Constantinole Abdulmecid II, 101e calife depuis la mort de Mahomet, est destitué. Il n’y a plus de garant de l’unité de l’Islam; les Musulmans ont perdu un guide.”

(1) Sidi Mohamed ben Ali el Senoussi (1787-1859) est le fondateur de la confrérie des Senoussi; son petit fils Mohamed Idris El Mahdi el Senoussi (1889-1983) fut roi de Lybie de 1951 à 1969.

Gérard Crespo

A suivre la semaine prochaine …

Mausolée, à Fès, de Cheikh Ahmed Tijani fondateur de la confrérie Tijaniyya (vers 1789)

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