L’Indochine française : une aventure coloniale

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A l’occasion des 70 ans de la fin de l’Indochine française (1858-1954), Mémoire de Notre Temps vous propose un court récit de cette aventure coloniale française outre-mer…une de plus.

L’Indochine, nom donné au territoire sous domination française entre 1858 et 1954, désigne cette péninsule située dans la partie orientale des pays situés géographiquement entre L’Inde et la Chine. Bien avant la conquête, dès le début du XVIIe siècle, ce sont les jésuites puis la création de congrégations comme la Société des missions étrangères de Paris (MEP) qui constituent les premiers contacts de la France avec l’Indochine. En 1664, Colbert fonde la Compagnie des Indes orientales, dès lors, durant les XVIIe et XVIIIe siècles, missionnaires et marchands de la Compagnie vont contribuer au développement du rayonnement de la France en Asie. Dans ce contexte, le XVIIIe siècle est marqué par plusieurs interventions militaires françaises dans le cadre des différentes guerres de dynasties que connait la péninsule : soutien en hommes et en matériel apporté par la France au gré des alliances conclues. Durant la première moitié du XIXe siècle, les présences française et britannique se renforcent dans le cadre de traités scellés avec la Chine à l’issue de la première guerre de l’opium menée par les Anglais (1840-1842). Mais c’est le rapprochement franco-britannique pendant la guerre de Crimée qui permet dans le cadre de la seconde guerre de l’opium (1856-1860) de mener une action conjointe en Chine. Ce sera le point de départ de la colonisation française : « le temps de la colonisation succède à celui des comptoirs » (Jean-François Klein). La conquête de l’Indochine est lancée sous le Second Empire en 1858 avec pour objectif principal de limiter l’influence anglaise en Extrême-Orient, puis avec l’avènement de la IIIème République, la colonisation de l’Indochine devient un projet idéologique au service de sa mission civilisatrice.

Une conquête par étape/ pas à pas…
Sur le terrain, l’expansion coloniale en Indochine est le résultat d’un processus complexe qui vise à rassembler des peuples et des territoires disparates sur une période de temps comprise entre 1858 et 1907. Pour ce faire, seront mobilisées l’infanterie de marine et des unités de l’armée d’Afrique ainsi que des troupes « indigènes » levées sur place, nécessaires en raison du taux de morbidité des soldats métropolitains mais aussi du coût de leur déploiement outre-mer. Ainsi, en haute région tonkinoise, le commandant Pennequin sera le premier à former des troupes de tirailleurs locaux. C’est la prise stratégique de Saigon le 17 février 1859 par les troupes de l’amiral Rigault de Genouilly qui ouvre la voie au processus de colonisation : la conquête de la Cochinchine d’abord en 1862 (traité de Saigon) et 1867, alors qu’entretemps un traité de protectorat est signé entre la France et le Bas-Cambodge (1863).

La prise de Saïgon, par l’escadre française du vice-amiral Rigault de Genouilly le 16 février 1859

(Antoine Léon Morel-Fatio)

La soumission du Tonkin et de l’Annam complète cette expansion dans le cadre d’un programme politique mené par Léon Gambetta puis Jules Ferry : il s’agit d’y trouver des matières premières et des débouchés industriels alors que débute la Grande Dépression (1873-1896) qui provoque en Europe « la course aux colonies ». Un corps expéditionnaire de 35 000 hommes appuyés sur des régiments de tirailleurs annamites et tonkinois débarque en 1883 contre des forces chinoises coalisées (rebelles vietnamiens et mercenaires…) : la guerre fait rage, les pertes sont lourdes (aux morts au combat, il faut ajouter les pertes importantes dues aux épidémies de typhus ou de choléra). Finalement, c’est le blocus du riz en Chine en 1885 par l’amiral Courbet qui met fin à cette guerre franco-chinoise, Pékin reconnaissant le protectorat français sur le Tonkin. Dès lors, le décret du 17 octobre 1887 fonde l’Union indochinoise, fédération administrative centralisée qui vise à unifier l’administration et à faciliter le contrôle et l’exploitation des divers territoires sous domination française. Elle est gérée par un gouverneur général civil nommé par décret présidentiel et dont les pouvoirs ne cessent de se renforcer. Les suites de la conquête sont liées à l’intervention de l’explorateur-diplomate Auguste Pavie. En 1888, ce dernier, dirige une grande expédition de reconnaissance géographique de l’hinterland indochinois. Il se rapproche alors du roi Oun Kham de Luang Prabang, seule principauté laotienne encore indépendante de Bangkog et tisse des liens au Haut-Tonkin avec les chefs traditionnels des douze principautés taïes de la rivière Noire et de la rivière Claire qu’ils rallient dans le but de débarrasser la région des Siamois et des Pavillons noirs (rebelles). Après plusieurs années de conflits, dans le cadre d’une association entre les mandarins, les troupes françaises et les miliciens vietnamiens, la résistance des rebelles (Pavillons noirs, groupes montagnards et vietnamiens du Cao vuong) est matée. Le traité de Bangkok est signé le 3 octobre 1893 : il reconnait alors le protectorat français sur les principautés du Laos, dernier territoire conquis par la France. Après une mise au point des frontières avec les possessions anglaises du Siam, la carte de l’Indochine française est enfin achevée en 1907.

Auguste Pavie

L’organisation de l’Indochine après la conquête : entre décentralisation et centralisation
Cette organisation prend forme à la fin du XIXe siècle, alors que Paul Doumer est gouverneur général de l’Indochine de 1897 à 1902. L’Union indochinoise est transformée en Fédération indochinoise et la capitale passe de Saigon à Hanoi en 1902. A cette date, ce sont cinq entités qui forment l’Indochine française : la colonie de Cochinchine au sud de l’actuel Vietnam, l’Annam au centre, le Tonkin au nord, le Cambodge et le Laos. Un territoire qui regroupe des entités très composites sur le plan politico-administratif et culturel. Ainsi la Cochinchine avec Saigon pour capitale est divisée en provinces administrées de façon directe comme les départements en métropole selon un droit conjuguant droit français et droit coutumier annamite, représenté par un député à l’Assemblée nationale à Paris. Le gouverneur de la colonie relève du gouverneur général à Hanoi, et alors que la quasi-totalité de l’administration locale et provinciale est indigène, elle reste en revanche française au niveau de la colonie. Le reste de l’Indochine est constitué d’Etats monarchiques sous protectorat français. Ainsi, ces différents empires conservent leurs institutions et administrations (ministères des Finances, de l’Enseignement, de l’Armée) qui sont progressivement placés sous la férule des « résidents » français, devenant les véritables maîtres de l’administration indigène, une tendance soutenue par une IIIème République centralisatrice. Dès lors durant le demi-siècle d’existence de la Fédération indochinoise, entre 1899 et 1948, date de la création d’« Etats associés » plus autonomes, c’est une administration quasi directe qui se pratique au dépend de l’esprit des traités de protectorat.

En 1945, l’Indochine compte 25 millions d’indigènes et seulement 45 000 Français. En effet, ce territoire n’a jamais été une colonie de peuplement comme en Afrique du nord, mais plutôt une présence stratégique en Extrême-Orient pour rivaliser avec l’Angleterre et une colonie d’exploitation. Sur le plan économique, l’objectif est d’atteindre le marché chinois d’où un investissement massif dans la construction du chemin de fer Transindochinois reliant Saigon dans le sud à Hanoi au nord, complété par un réseau routier et des installations portuaires. Dans le même temps, les cultures du riz et de l’hévéa sont développées et intensifiées notamment en Cochinchine et au Cambodge (2,5 millions d’ha de rizières et 150 000 ha de plantations d’hévéa dans les années 40). Cette croissance économique développée grâce à l’investissement d’entreprises métropolitaines comme Michelin ou encore des colons français et vietnamiens va contribuer à l’émergence d’une bourgeoisie locale notamment cochinchinoise et la constitution de fortunes locales. D’autres productions importantes viennent favoriser ce développement économique : houille, fer et autres minerais. L’Indochine devient alors la deuxième destination des investissements français dans son empire après l’Algérie, mais cette économie locale très prospère va subir dans un premier temps la crise de 1929 puis les répercussions de la Seconde Guerre mondiale notamment en la privant de ses débouchés à l’exportation.

Un autre domaine dans lequel la France va investir est l’instruction. Après une période d’hésitation entre le système éducatif traditionnel et un système « modernisé » à la française, on choisit au début du XXe siècle de mettre en place un enseignement franco-indigène sur le modèle métropolitain généralisé dans toute l’Indochine : dans ce contexte les caractères chinois sont abandonnés au profit du quôc-ngu, « langue nationale » en alphabet latin, le français devient obligatoire dès l’école de village. Parallèlement, l’enseignement secondaire se développe, le premier lycée de garçon est créé à Saigon dans les années 1870, puis le lycée Marie-Curie en 1918 pour les filles. L’enseignement supérieur est encouragé avec une école de médecine créée à Hanoi en 1902, puis une Université indochinoise en 1906. Des enseignements plus spécialisés sont mis en place (écoles technique, écoles des d’arts décoratifs, l’Ecole des travaux publics, l’Ecole des beaux-arts de Hanoi, etc.) qui vont permettre le développement des artisanats traditionnels. Des organismes comme l’Institut Pasteur de Saigon ouvert en 1891 puis celui de Nha Trang en 1895, ou encore l’Ecole française d’Extrême Orient fondée à Hanoi en 1900, l’Institut océanographique de Nha Trang en 1927, témoignent des efforts de l’administration coloniale en matière de recherche scientifique. Cependant, pour s’en tenir à l’instruction, ce ne sont que certains territoires qui profitent de ce système éducatif public, la Cochinchine et le Tonkin principalement. Dès lors à la veille de la Seconde Guerre mondiale, un quart seulement de la jeunesse indochinoise est scolarisée, et une grande partie dans des écoles catholiques.

En définitive et pour conclure, je citerai l’historien François Joyaux, professeur émérite à l’Institut national des langues et civilisations orientales, « en dépit des limites du développement économique et du système éducatif que la France mit en place, c’est au cours de ce siècle colonial que les pays d’Indochine accédèrent à la modernité [….] d’ailleurs ni les nationalistes ni les communistes ne le contestèrent vraiment, et aujourd’hui encore le Vietnam socialiste en célèbre parfois les prolongements positifs »(1).

A lire pour aller plus loin :
– Le numéro du Figaro Histoire avril-mai 2024 consacré à L’Indochine française (1858-1954), de la conquête à Diên Biên Phu pour la richesse de ces articles et sa belle iconographie.
– François Joyaux, Nouvelle histoire de l’Indochine française, Editions Perrin.
– Jean-François Klein, Rencontres impériales : l’Asie et la France. Le « moment Second Empire », avec Dominique Barjot (dir.), Editions Maisonneuve et Larose/Hémisphères.


(1) Extrait du numéro du Figaro Histoire consacré à l’Indochine française, avril-mai 2024, p. 57 et p.60.


Bénédicte Hollender

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