De la déculturation menée par la France en Algérie

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Selon une certaine intelligentsia et une “élite historienne”, la France aurait déculturé les Indigènes d’Algérie et les aurait maintenu dans l’ignorance et l’analphabétisme.

Or on peut trouver chez Marcel Emerit, in Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1954, 1-3, p.199-212, “Etat intellectuel et moral de l’Algérie en 1830” les renseignements suivants :
Selon Abd el Kader, “les lois de l’Islam ont défendu d’enseigner l’écriture aux femmes pour qu’elles ne puissent pas en écrivant à ceux qu’elles aiment se ménager une rencontre avec eux” (in Le livre d’Abd el Kader, traduit par Gustave Dugat, Paris, 1958).
A Constantine en 1837, non encore prise par les Français, 7 medersas.
L’enseignement dispensé : grammaire et commentaire du Coran; en fin d’études un brevet, “idjaza” permet au récipiendaire d’être taleb; il était apte à lire le Coran dans les mosquées et pouvait devenir khodja (écrivain).
Il existait un enseignement supérieur, droit, théologie, astronomie, astrologie, littérature du Moyen Age, mais pas de disciplines scientifiques, pas de rudiments de médecine…
Pas de préoccupation du gouvernement du Dey de dispenser un enseignement; il était laissé à la discrétion des confréries et à l’initiative de particuliers.

Dès 1832, est ouverte une école arabe française à Alger.
La IIème République décide par le décret du 30 septembre 1850 de créer des medersas; il convient de rappeler qu’il en existait dès 1830 un grand nombre affilié à des confréries et qu’elles n’avaient pas été supprimées. Toutefois ce décret donne un corpus législatif à une situation qui jusqu’alors échappait à l’Etat français. Le directeur et les enseignants sont des indigènes, la gestion de ces institutions est autonome. Sont enseignés la théologie, le droit musulman, l’exégèse coranique, la littérature arabe, la rhétorique.

La medersa de Constantine

La medersa de Tlemcen


En 1857, un Collège Impérial arabo-français ouvre à Alger; il accueille environ 200 élèves. L’enseignement y est bilingue. Deux autres collèges sont ouverts à Oran et Constantine. Le décret impérial du 21 avril 1866 préconise le développement de l’enseignement primaire et secondaire arabe-français ouvert aux garçons et aux filles et la création d’une Ecole Normale à Alger pour 20 Français et 10 Musulmans.

En 1870 donc, à l’initiative de Napoléon III, une quarantaine d’écoles arabes-françaises sont créées (H. Desvages, “La scolarisation des Musulmans en Algérie, 1882-1962 dans l’enseignement primaire public français” in Cahiers de la Méditerranée, 1972, 4, p.55-72). En 1875, l’arabe est langue vivante au baccalauréat, au diplôme d’études de l’enseignement spécial et au brevet de capacité de l’enseignement primaire. Mais en 1876, la donne change quelque peu, car l’insurrection de Mokrani a laissé des traces. La France soupçonne nombre de médersas d’avoir été un relais à la révolte. On introduit alors dans l’enseignement des éléments du droit français et de la civilisation française et donc on nomme des enseignants français à côté des enseignants indigènes. A cette date, l’Algérie devient une circonscription académique.
La réorganisation de l’enseignement primaire des Indigènes se fait à la fin du XIXème siècle; l’enseignement devient effectif avec le décret du 13 février 1883 qui met fin aux écoles arabes françaises. Mais est créé un Certificat d’études indigène avec une épreuve de langue arabe ou berbère, écrite et orale; il est supprimé en 1887 mais rétabli en 1889 avec l’enseignement de l’histoire et de la géographie de l’Algérie.
Le personnel enseignant est alors constitué : d’instituteurs français, d’instituteurs adjoints indigènes possédant le Brevet élémentaire, de moniteurs indigènes possédant le Certificat d’Etudes Indigène. Ces derniers rechignaient à enseigner l’arabe aux élèves pour ne pas empiéter sur le domaine religieux du taleb (selon E. Scheer, inspecteur des écoles primaires indigènes en Algérie en 1895).

École Normale Supérieure de Bouzareah


En 1891, est créé à l’Ecole Normale de la Bouzareah un poste de répétiteur kabyle pour former des instituteurs métropolitains destinés à l’enseignement des Indigènes. Quelques années auparavant, Belkacem ben Sedira maître de conférences à l’Ecole des Lettres avait été chargé du cours d’arabe à l’Ecole Normale.
Le décret du 18 octobre 1892 pour développer l’enseignement chez les Indigènes, complété par le décret du 9 décembre 1897, vise à appliquer en Algérie avec des modifications les dispositions en vigueur en France : des écoles sédentaires sont créées jusque dans le désert avec des enseignants adjoints indigènes; mais aussi on assiste à la Création d’Ecoles Nomades auxquelles il est alloué un budget de :
– 600 francs pour la tente de l’école,
– 20 francs pour une table pliante qui serait le bureau du maître,
– 50 francs pour 20 nattes pour les élèves,
– 100 francs pour 20 cartables en bois sur lesquels les élèves pourraient écrire,
– une pioche pour creuser les rigoles pendant l’hiver,
– des piquets solides pour fixer la tente en cas de tempête.

D’autre part, en 1892 l’arabe devient obligatoire pour le Brevet Supérieur suite au rapport Combes. A partir de 1897, il est obligatoire d’enseigner l’histoire et la géographie de la France et de l’Algérie, et de mettre en relief les grands événements historiques des deux pays. Mais toujours selon Eugène Scheer, “la religion est un obstacle au bon fonctionnement de l’école française; l’enseignement laïc est perçu par les Musulmans comme dépersonnalisant. Le maître indigène fait figure de renégat”.

En 1881, l’enseignement du Berbère fait son entrée à l’Ecole des Lettres d’Alger; il est confié à Hachemi Ben Si Lounis.
Entre 1892 et 1898, il est projeté de créer chaque année 60 à 62 écoles (filles/garçons) à deux classes de 50 élèves chacune sur tout le territoire algérien.
Mais selon F. Abécassis, G. Boyer, B. Falaize entre 1883 et 1914, on assiste à un rejet de l’école française de la part des populations indigènes; il convient de rappeler qu’en 1897, on recensait 27 confréries sur tout le territoire algérien, or chaque confrérie avait ses zaouias et ses medersas.

En 1904, est publié un recueil de poésies kabyles. Parmi les auteurs on note la présence de Si Mohand, poète kabyle contemporain.
Après 1920 il y a par contre une vraie demande de scolarisation vers le système scolaire français. Entre 1889 et 1920 le nombre d’enfants musulmans est multiplié par quatre (Ali Merad(1)). Toutefois, selon G. Crespo et J.P. Simon(2) l’école française se heurtera au développement des écoles musulmanes qui sont le fruit de l’œuvre de Ben Bâdis et des Oulémas; ces derniers affirmaient avoir édifié en 1935 70 écoles rassemblant plus de 3 000 élèves. En 1939, ils revendiquaient 13 000 élèves; en 1954, 40 000 élèves dans 130 écoles. D’autre part le mouvement des scouts musulmans se développe.

En 1948 sont créés des cours du soir pour illettrés. Un décret de 1949 établit des cours préparatoires d’initiation pour les enfants musulmans non francophones. En 1951, on dénombre 6 081 écoles et 103 500 élèves dans le réseau d’enseignement privé musulman.

Enfin, rappelons qu’entre 1954 et 1962, le FLN incendia plusieurs centaines d’écoles françaises et assassina plusieurs dizaines d’instituteurs.

Alors, déculturation?


(1) “Regard sur l’enseignement des Musulmans en Algérie, 1880-1960”, in Confluent, 1963, n°32 et 33.
(2) L’Islam aux sources du nationalisme algérien, Edilivre, 2019.


Gérard Crespo

Évolution de la scolarisation en Algérie entre 1956 et 1960 (source ANOM Aix-en-Provence)

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