De Gaulle et les Décolonisations, 1942-1962 (4/4)

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De Gaulle et les indépendances africaines : 1958-1960
En 1953, de Gaulle effectue un voyage à Abidjan et entre 1956 et 1958, il a reçu à plusieurs reprises Houphouët-Boigny qu’il appelle comme ministre dans son gouvernement en mai 1958, mais il est loin d’être un spécialiste des affaires africaines. Il est également loin d’être rallié aux thèses indépendantistes. Ainsi, lors de sa tournée en Afrique Noire, le 24 août 1958, dans un discours à Brazzaville il explique « qu’un vote positif au référendum constitutionnel sera le signe que les habitants d’un territoire acceptent de rester dans un ensemble franco-africain… les électeurs pourront choisir l’indépendance dont les dangers sont grands dans un monde bipolaire dominé par les États-Unis et l’U.R.S.S. sans compter la Chine montante… » .
A Abidjan, dans un autre discours, il déclare : « il y a dans le monde des masses énormes qui voudraient sortir de chez elles et pénétrer chez les autres. L’Afrique est exposée à ces convoitises qui se dissimulent derrière des idéologies… la communauté offre outre la protection contre ce risque international, l’aide matérielle française maintenue ». Pourtant, en 1956, le Soudan, puis en 1957 la Gold Coast, connue aujourd’hui sous le nom de Ghana, toutes deux colonies britanniques, sont devenus indépendants ; comme en Asie les Britanniques nous ont précédés !
Depuis 1955, la France est englué dans un conflit oublié au Cameroun où l’Union des Populations du Cameroun a organisé un soulèvement ; l’U.P.C. est interdite, un des leaders Um Nyobé est assassiné en septembre 1958 (qui est alors au pouvoir en France ?) ; or le Cameroun n’est pas une colonie mais un territoire sous tutelle ; une mission de l’O.N.U. visite le pays. Pour éviter un débat devant l’Assemblée nationale, voire un vote, de Gaulle par l’ordonnance du 30 décembre 1958 accorde l’autonomie interne au pays. Mais auparavant, la répression menée par les nationalistes camerounais leur coûtera des milliers de morts.

Monument de Um Nyobé à Éséka

En septembre, de Gaulle propose pour l’Afrique la création d’une Communauté française en remplacement de l’Union française. La Communauté serait formée d’États disposant d’une autonomie interne, la République française exercerait ses compétences en matière de défense, de diplomatie, de politique financière économique et monétaire, dans l’organisation des transports et des télécommunications. Tous les leaders africains acceptent « cette construction de type nouveau » selon le mot de Michel Debré, à l’exception de Sékou Touré ; la Guinée est donc proclamée indépendante le 2 octobre 1958, ce qui provoque la fureur de de Gaulle qui tentera tout pour déstabiliser le nouveau régime… Mais la Communauté n’est pas viable et dès la fin de 1959, certains États demandent l’accession à l’indépendance, d’autant que Madagascar obtient un transfert de compétences élargies. Le gouvernement français retarde les échéances, le Mali obtenant son indépendance en avril 1960, puis en août c’est au tour de la Côte d’Ivoire, du Niger, de la Haute-Volta et du Bénin, à la fin de 1960, c’est toute l’Afrique noire française à l’exception de Djibouti et des Comores qui est indépendante. Selon Jean Lacouture, de Gaulle ne jugeait pas possible une réelle indépendance sans bases économiques solides et il aurait cédé aux demandes « avec des larmes dans la voix » !

Ahmed Sékou Touré

De Gaulle et l’Algérie
On ne s’étendra pas sur les déclarations de Pasqua (Arte octobre 2007) qui affirmaient que durant les semaines qui ont précédé le 13 mai 1958, Neuwirth et Massu « faisaient monter la pression à Alger ». La manifestation du 13 mai « aurait été préchauffée par les sbires de Neuwirth » qui recevaient les ordres d’un mystérieux 5ème Bureau dirigé par Léon Delbecque et créé par Chaban Delmas alors qu’il était ministre de la Défense. Des gaullistes comme Foccart et Olivier Guichard auraient également joué un rôle non négligeable dans l’agitation précédant le 13 mai afin de précipiter le retour du général dans une perspective de sauver l’Algérie Française.
Si le discours du 4 juin 1958 d’Alger est resté célèbre dans l’histoire par son expression « Je vous ai compris », il convient de le lire plus attentivement pour découvrir que plus loin, le général affirme « que la France considère que dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs ». Encore plus avant, on apprend que « les dix millions de Français d’Algérie auront à décider de leur propre destin ». Le général ne semblait pas avoir fait le deuil de cette colonie.

Léon Delbecque

Plus surprenant encore est le discours du 16 septembre 1959, dans lequel nombre d’auteurs de manuels scolaires de Terminales décident d’y voir un tournant dans l’approche qu’a de Gaulle de l’Algérie et l’affublent du titre subjectif de discours sur le droit des Algériens à l’autodétermination. Effectivement, de Gaulle affirme « je considère comme nécessaire que ce recours à l’autodétermination soit dès aujourd’hui proclamé ». Mais, plus loin, l’auteur pose la question suivante : « le destin politique qu’Algériennes et Algériens auront à choisir dans la paix, quel peut-il être ?… [ et l’auteur de proposer la réponse suivante] Ou bien la sécession, où certains croient trouver l’indépendance ; La France quitterait alors les Algériens qui exprimeraient la volonté de se séparer d’elle. Ceux-ci organiseraient sans elle, le territoire où ils vivent, les ressources dont ils peuvent disposer, le gouvernement qu’ils souhaitent. Je suis convaincu pour ma part qu’un tel aboutissement serait invraisemblable et désastreux ». De Gaulle propose par ailleurs, la francisation ou l’association, c’est-à-dire que le gouvernement algérien s’appuierait sur l’aide de la France et déciderait en union étroite avec elle de son économie, de l’enseignement, de la défense, des relations extérieures.
Le véritable tournant se serait produit au lendemain du voyage en Algérie de décembre 1960 où il aurait décidé de négocier exclusivement avec le F.L.N. et d’abandonner l’idée d’une Algérie qui se serait associée à la France, hypothèse contenue dans le discours de septembre 1959 et qui avait sa préférence.

Selon le mot de l’historien Jacques Dalloz « l’ère des guerres coloniales qui s’était ouverte sous de Gaulle, s’est close avec lui », puisqu’en Afrique seules les Comores qui accéderont à l’indépendance en 1976 et Djibouti l’année suivante, restent colonies françaises.
L’ère des guerres coloniales s’était ouverte avec de Gaulle avec les massacres de Thiaroye, de Sétif et de Douala, elle s’est close avec de Gaulle, mais dans quelles conditions ? Un million de Français prennent la route d’un exil chaotique dans la peur et la douleur et l’ère des guerres coloniales s’achève avec de Gaulle par un massacre, celui du 5 juillet à Oran.

Dire que le « grand homme » a manqué de vision politique est un euphémisme !


Gérard Crespo

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