De Gaulle et les Décolonisations, 1942-1962 (3/4)

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A propos de l’indépendance du Vietnam
Le 23 novembre 1946, Haïphong est bombardé par la flotte française ; on considère que c’est le début de la guerre d’Indochine. 1954 est l’année de la défaite de Diên Biên Phu. Curieusement, la France, avide de commémorations occulte le soixante dixième anniversaire de cet événement. Pourquoi ?
Peut-être que ces quelques réflexions apporteront des éléments de réponse.

Le 2 septembre 1945, jour de la capitulation sans conditions du Japon, Ho Chi Minh proclamait l’indépendance du Vietnam. Quelques jours auparavant, de Gaulle, président du Gouvernement Provisoire de la République Française, avait dépêché deux de ses fidèles, l’amiral Thierry d’Argenlieu, nommé Haut Commissaire en Indochine, et le général Philippe de Hautecloque, plus connu sous le nom de Leclerc, à la tête des troupes françaises en Indochine. Avec Langlade secrétaire du Comité de l’Indochine, et Laurentie directeur des Affaires politiques aux Colonies ce sont quatre gaullistes qui sont les inspirateurs de la politique indochinoise. La mission était claire et sans ambiguïté, ils étaient chargés de rétablir la souveraineté française en Indochine, souveraineté mise à mal par l’occupation japonaise et par une première déclaration d’indépendance due à l’empereur Bao Daï le 11 mars. Bao Daï avait le 17 août 1945 écrit à de Gaulle : « je vous prie de comprendre que le seul moyen de sauvegarder les intérêts français et l’influence spirituelle de la France en Indochine est de reconnaître l’indépendance du Vietnam et de renoncer à toute idée de rétablir la souveraineté ou une administration sous quelque forme que ce soit ». Non seulement de Gaulle ne répond pas à la missive mais il ne fera jamais mention de ce texte.

Hô Chi Minh proclamant l’indépendance du Vietnam sur la place Ba-dinh, le 2 septembre 1945

L’empereur Bao Daï

La 2ème D.B., celle là même qui était entrée dans Paris, débarque donc à Saïgon pour rétablir les droits de la France dans son Empire, empire qui a été débaptisé et est devenue l’Union Française. Le Vietnam y aura sa place, mais sous le nom de Fédération Indochinoise dont le gouvernement serait composé de Français et d’Indochinois, ce qui ne sied pas du tout à Ho Chi Minh. Toutefois, le leader indépendantiste est conscient du déséquilibre des forces : le Vietminh qu’il a créé en 1941 et qui doit être le fer de lance de la libération nationale est trop faiblement implanté dans le sud et ne peut s’opposer au corps expéditionnaire français, d’autant que ce dernier peut bénéficier du soutien des forces britanniques engagées dans le conflit contre le Japon et que les accords de Postdam avaient chargé de maintenir l’ordre dans l’attente de l’arrivée des troupes françaises. Aussi, Ho Chi Minh recule et replie ses troupes vers le nord où, mieux implanté, il est également assuré de l’aide des Chinois à qui les accords de Postdam ont attribué le même rôle qu’aux Britanniques et qui sont moins bienveillants à l’égard des Français. Leclerc décide de remonter lentement vers le nord en évitant tout conflit avec Ho Chi Minh, poursuivant l’objectif gaullien, la grandeur nationale de la France devait être rétablie tant en métropole que dans l’Empire, en recouvrant son intégrité territoriale et en restaurant les valeurs et les fondements de la république. Le 20 janvier de Gaulle démissionne de ses fonctions de président du G.P.R.F. Mais le 6 mars, c’est Sainteny, un autre gaulliste, qui signe un accord avec Ho Chi Minh, accord qui reconnaît un Vietnam libre au sein de l’Union Française ( !) et qui accepte la présence amicale du corps expéditionnaire français qui entre à Hanoï le 18 mars ! Mais l’intransigeance de l’autre gaulliste d’Argenlieu, qui espère le retour de de Gaulle au pouvoir et qui multiple les provocations, précipite le Vietnam dans la guerre, le bombardement de Haïphong par la marine française étant suivie d’une insurrection à Hanoï le 19 décembre. Leclerc est alors sollicité pour remplacer d’Argenlieu jugé en France trop belliciste ; mais dans l’ombre, de Gaulle l’en dissuade, il ne veut pas révéler au grand jour des dissensions entre gaullistes.

Hô Chi Minh

Le général Leclerc

L’amiral d’Argenlieu

En 1947 d’Argenlieu sera finalement destitué et Leclerc se tuera dans un accident d’avion ; mais le R.P.F. parti créé par de Gaulle en avril 1947 sera durant toute la durée de la guerre d’Indochine le parti le plus farouchement opposé à toute négociation et par son intransigeance contribuera à l’instabilité ministérielle de la IVeme république ne cessant de s’élever contre « les bradeurs de l’Empire » !
Alors, est-ce pour ne pas rappeler le rôle peu glorieux que joua l’homme du 18 juin que fut occulté en 2004, en 2014 cet événement qui fut à l’origine d’un des plus grands traumatismes que la France ait connu avec le désastre de Diên Biên Phu ? Lequel désastre précipita dans la guerre d’Algérie des officiers sous le choc de la défaite ! Est-ce pour ne pas pointer du doigt le manque de vision politique du libérateur de la France, manque de vision envers un monde secoué par la décolonisation (les Philippines sont indépendantes en 1945, l’Indonésie a proclamé son indépendance la même année et les Pays Bas, puissance coloniale, désavoués par les États-Unis et l’O.N.U. sont en difficulté), processus annoncé par la Charte de l’Atlantique signée en 1941 et par la Charte de San Francisco signée, entre autre par la France en juin 1945 ?
Ou est-ce pour oublier ce premier exil qui en 1954 a contraint « seulement » 35 000 Français et quelques milliers d’Indochinois à se rapatrier en Métropole, et 700 000 Indochinois à migrer du nord vers le sud fuyant la dictature communiste, préfigurant en cela l’immigration vers la France de 142 000 personnes au lendemain de la défaite des États-Unis au Vietnam dix ans plus tard ?
L’Indochine aura été le premier théâtre d’exode consécutif à la décolonisation, théâtre dont les scènes se répèteront : conditions de traversées maritimes difficiles (trois à quatre semaines), transit par des camps d’accueil (euphémisme pour désigner des baraquements), lacunes de l’administration, indifférence des Métropolitains…
Combien la Mémoire est sélective !

Bataille de Diên Biên Phu

Soldats français capturés à Diên Biên Phu


Gérard Crespo

A suivre la semaine prochaine…

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One thought on “De Gaulle et les Décolonisations, 1942-1962 (3/4)”

  1. Merci de nouveau à Gérard Crespo pour ces éclairages et cette lecture, qui démonte (je n’aime pas le terme “déconstruit”…) une nouvelle fois et sur un autre “dossier” que l’Algérie, la légende d’un de Gaulle visionnaire complaisamment entretenue par ses hagiographes.
    Gérard Guibilato

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