De Gaulle et les Décolonisations, 1942-1962 (1/4)

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Gérard Crespo nous propose une mise au point historique sur de Gaulle et la période des décolonisations françaises.
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Bonne lecture !

Introduction
Rappel chronologique : il y a 70 ans, le 7 mai 1954, l’armée française était défaite à Diên Biên Phu. Il y a 70 ans, le FLN lançait, lors de la Toussaint Rouge, le début des combats qui devait mener à l’indépendance de l’Algérie. Aux prémisses de la guerre d’Indochine, on rencontre un homme, le général de Gaulle. A la fin de la guerre d’Algérie, on retrouve le même homme, de Gaulle.
Cet article a pour but de montrer comment le « grand homme » a raté ses rendez-vous avec les décolonisations.
Le 14 août 1941, était signée la Charte de l’Atlantique par Roosevelt et Churchill (et associant les états souverains du Commonwealth) affirmant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

De Gaulle face aux revendications des peuples

Le nationalisme algérien
Le 10 février 1943, Ferhat Abbas rédige le Manifeste du peuple algérien. Le 13 mars, dans un discours, de Gaulle annonce « la réalisation prochaine de l’unité de l’Empire ». Le 31 mars 1943, Ferhat Abbas remet au gouverneur Peyrouton le Manifeste. Le 1er avril il le remet à Robert Murphy, représentant des Alliés à Alger.
De Gaulle arrive – après la campagne victorieuse de Tunisie – à Alger le 30 mai. Il rappelle que « la base de l’unité nationale repose sur le principe de la souveraineté nationale dans toutes les parties de l’Empire, rien absolument rien ne peut être abandonné ». Le 3 juin, il est co-président du C.F.L.N. (Comité français de libération nationale) avec le général Giraud. Le 10 juin, Abbas lui remet le manifeste avec un additif demandant « la résurrection du peuple algérien par la formation d’un État algérien démocrate et libéral ». Le texte est rejeté par le général Catroux (nouveau gouverneur général de l’Algérie et commissaire d’État du C.F.L.N. aux affaires musulmanes) et de Gaulle. Durant l’été 1943, Ferhat Abbas est assigné à résidence à In Salah du 25 septembre au 2 décembre. Le 30 septembre des manifestations ont lieu à Alger aux cris de « libérez Abbas » et « pour la charte de l’Atlantique ».
Le 12 décembre 1943, lors d’un discours à Constantine, de Gaulle – alors seul président du C.F.L.N. – se prononce sur le statut des Musulmans d’Algérie et annonce qu’il octroie la citoyenneté française à plusieurs milliers d’Algériens, annonce qui prendra effet par l’ordonnance du 7 mars 1944. En fait après bien des discussions (Pleven, Palewski, Soustelle, et Giaccobi ministre des Colonies) il est décidé par l’ordonnance du 7 mars 1944 que 1 500 000 musulmans de plus de 21 ans seraient électeurs, mais que la citoyenneté pleine et entière serait accordée à quelques catégories, anciens fonctionnaires, titulaires du brevet élémentaire ou de décorations, membres des chambres économiques, chefs indigènes… soit 62 285 personnes. Ces mesures sont jugées insuffisantes par Ferhat Abbas qui le 14 mars crée un nouveau parti, Les amis du manifeste et de la liberté.

Ferhat Abbas

Le nationalisme marocain
Le 11 janvier 1944 est publié le Manifeste de l’Istiqlal. Il est présenté à Marrakech le lendemain lors de la rencontre de Gaulle-Churchill. De Gaulle dépêche immédiatement René Massigli, commissaire aux Affaires Etrangères du C.F.L.N. à Rabat pour contraindre le sultan qui a cautionné le texte, de retirer les termes d’indépendance et de nation marocaine. Un an plus tard, en juin 1945, le sultan se rend à Paris pour rencontrer de Gaulle ; celui-ci ne lui promet rien, mais le fait Compagnon de la Libération.

de Gaulle et Churchilll à Marrakech en 1944

Dans les deux cas, Algérie et Maroc, de Gaulle rejette toute discussion avec les nationalistes. Il est convaincu que la grandeur de la France passe par la préservation de l’Empire. Conviction renforcée lors de la tenue de la conférence de Brazzaville (30 janvier-8 février 1944).
Extrait du discours de de Gaulle : « Nous lisons de temps à autre que cette guerre doit se terminer par ce qu’on appelle un affranchissement des peuples coloniaux. Dans la grande France coloniale, il n’y a ni peuple à affranchir ni discrimination raciale à abolir. Il y a des populations qui se sentent françaises… Il y a des populations que nous entendons conduire par étapes à la personnalité, pour les plus mûres aux franchises politiques, mais qui n’entendent connaître d’autre indépendance que l’indépendance de la France… les fins de l’œuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies, écartent toute idée d’autonomie, toute idée d’évolution hors du bloc français de l’Empire ; la constitution éventuelle, même lointaine, de self-government dans les colonies est à écarter ».
Si Léopold Senghor est heureux de certaines dispositions contenues dans la conclusion de la conférence (nouveau statut des femmes, des fonctionnaires africains, élections de représentants africains à des assemblées consultative, etc.) il ajoute : « l’Indigène qui est en moi se dit, mais à quand l’émancipation ? ».
Le 15 mars 1944, René Pleven qui a présidé la conférence de Brazzaville, remplace, alors qu’il est en voyage à Alger, l’expression « Empire Français » par « Union Française ». Pleven sera Commissaire aux Colonies du 26 août au 10 septembre, puis Ministre des Colonies du 10 septembre au 16 novembre 1944 dans le G.P.R.F. qui a été créé le 3 juin.

Léopold Senghor

De Gaulle président du G.P.R.F. (juin 1944-janvier 1946)
L’ordonnance du 2 juillet 1944 met fin au régime d’auto-financement inscrit dans le Pacte Colonial de 1901; elle crée le Fonds d’Investissement et de Développement Economique et Social (F.I.D.E.S.), ce qui veut dire qu’elle renforce l’intervention de l’État français et qu’elle met sous dépendance complète les villes côtières de l’Afrique qui bénéficieront prioritairement de ces investissements (Dakar, Abidjan,…).
En décembre 1944, 1280 soldats africains démobilisés attendent depuis plusieurs semaines le versement de leur pécule, constitué de leurs arriérés de solde et de la prime de démobilisation. Regroupés dans le camp de Thiroye, à proximité de Dakar, ils expriment de façon virulente leur mécontentement. Le général Dagnan, en accord avec son supérieur le général de Boisboissel nommé par de Gaulle commandant en chef des troupes de l’AOF, ordonne de tirer sur les mutins. Le bilan officiel est de 35 morts; un historien sénégalais compte, lui, 191 morts.
Le 8 mai 1945, ce sont les événements de Sétif et Guelma – 102 Européens massacrés – à propos desquels de Gaulle envoyant un télégramme au gouverneur Châtaigneau écrira : « [il faut] affirmer publiquement la volonté de la France victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à sa souveraineté par une minorité d’agitateurs ». On ne s’étendra pas sur la maladresse qui consiste à arrêter Ferhat Abbas le 8 mai 1945 alors qu’il venait au Gouvernement Général féliciter Châtaigneau de la victoire de la France, et de le garder emprisonné un an. La répression est sévère, mais de Gaulle fait tout pour occulter le drame ; à la veille de la signature de la Charte de San Francisco, il ne faut donner aucun argument aux Américains contre la colonisation française. En septembre 1945, ce sont les émeutes et la répression au Cameroun (Douala, environ 70 morts dont un Européen).

8 mai 1945 : carte des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata

Chaque fois donc, à Thiaroye, à Sétif, à Douala, est reconnue aujourd’hui la responsabilité de l’État français, mais qui était au sommet de l’État ?
En juin 1945, la charte des Nations Unies proclamait l’autodétermination des peuples qui devait s’appliquer aux colonies; de Gaulle à travers son ministre des colonies Giaccobi obtient des corrections à l’article 73 de la charte lui attribuant seulement une déclaration d’intention et non la finalité de l’indépendance pour les peuples colonisés. Les délégués français font admettre que rien dans cette charte n’autorisera l’organisation à intervenir dans des sujets qui sont essentiellement de l’ordre de la juridiction intérieure de quelque État.
La charte avait également fixé pour objectif l’accession à l’indépendance des colonies italiennes et des mandats de la S.D.N.. Or de Gaulle, puis Bidault ne touchent pas aux mandats du Togo et du Cameroun et parlent de l’intégration de ces populations dans la communauté française.
De Gaulle démissionne de ses fonctions de président du G.P.R.F. le 20 janvier 1946. C’est après sa démission que l’Assemblée Constituante votera la fin du travail obligatoire dans les plantations d’Afrique, travail assimilé à du travail forcé, abolition que réclamaient le parti communiste français et Houphouët Boigny.

Charles de Gaulle présidant le dernier conseil des ministres de son premier gouvernement, le 2 novembre 1945

Gérard Crespo

A suivre la semaine prochaine…

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