Les Vandales en Afrique du Nord, 431-534 (2/2)

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Voici donc la deuxième et dernière partie de l’article consacré aux Vandales en Afrique du Nord, proposé par l’historien Gérard Crespo. N’hésitez pas à nous faire vos retours ou nous poser des questions, Gérard Crespo nous aidera pour les réponses…

« Les persécutions continuent sous le règne du roi des Vandales Hunéric…

En 481, Eugène un « nicéen » est choisi comme évêque de Carthage. Hunéric lui interdit d’accueillir dans son église tout chrétien de la « race des Vandales ». Mais Eugène lui répondit que la Maison de Dieu était ouverte à tout le monde. Ce fut le signal d’une répression. L’année suivante Hunéric déplaça 5 000 personnes, convaincues d’être fidèles au pape, à Nivicibus (aujourd’hui N’Gaous dans la wilaya de Batna en Algérie) et dans la région du Chott el Hodna où il les confie à la garde de chefs berbères, vraisemblablement restés païens. Cette même année c’est l’évêque Victor de Vita qui lui aussi est contraint à l’exil ainsi que Maximus évêque de Lamiggiga. L’évêque de Curubis (Korba en Tunisie) est exilé en Corse.

Victor de Vita est né sans doute en 440, vraisemblablement dans une cité appelée Vita que l’on a longtemps situé à une trentaine de kilomètres de la mer à l’ouest d’Hammamet ; d’autre sources la situe proche de Kairouan. De retour à Carthage en 484, il participe au synode des évêques ariens et nicéens convoqué par Hunéric au mois de février de la même année qui rassemble 466 prélats. En apparence favorable au dialogue, Hunéric revient sur sa parole et exile un certain nombre de dignitaires nicéens parmi lesquels Vigile, évêque de Thapsus (ville littorale située à 200 kilomètres au sud est de Carthage), Victor évêque d’Icosium et Timothéus, évêque de Taghora. Victor de Vita échappe curieusement à cette nouvelle persécution. En 504, il consacre un évêque, Fulgence5 de Ruspe (ville située vraisemblablement près de Mahdia en Tunisie). Ce faisant il contrevient aux ordres du roi vandale Thraasamund. Fulgence et Victor de Vita sont alors contraints à l’exil ainsi que plusieurs dizaines d’évêques.
Victor meurt en Sardaigne vers 510. Auparavant, il avait écrit une Histoire de la persécution des chrétiens en Afrique, histoire qui couvre la période des règnes de Genséric et d’Hunéric en trois livres. Le livre I est consacré au règne de Genséric (429-477) et les livres II et III traitent des persécutions sous Hunéric (477-484). Bien que Victor récuse le terme d’histoire, c’est un récit du terrible quotidien que vécurent les chrétiens « nicéens » durant cinquante cinq ans. Certes, Victor n’a pas vécu durant les quinze premières années du règne de Genséric ; aussi dit-il qu’il a rassemblé des matériaux, ce qui constitue un témoignage toutefois intéressant pour l’historien. C’est par Victor de Vita que nous savons que le 2 juillet 483, sous le règne d’Hunéric, furent martyrisés sept moines de Gafsa6 qui firent l’objet de vénérations sur le lieu dit le monastère de Bigua à Carthage qui abrita leurs restes. Le monastère de Bigua – bâti sur une ancienne demeure romaine, la maison de Tellus construite au Ier siècle – était contigu à la basilique dite de Carthagenna. Selon Procope, la vie des chrétiens fut particulièrement cruelle sous le règne d’Hunéric : vexations, supplices, évêques martyrisés, églises souillées… Il semblerait que des intellectuels comme le grammairien Priscien de Césarée aient choisi ou ont été contraints à l’exil.

D’autre part, il semble que c’est sous le règne d’Hunéric que commence à se déliter la domination vandale sur les Maures qui créent ça et là des royaumes indépendants, dans les Aurès par exemple, et qui se révoltent. C’est ainsi qu’une inscription découverte à Mouzaïavile – située à une quarantaine de kilomètres au sud est de Cherchell – indique qu’un évêque exilé par le roi vandale Gunthamund a été tué par les Maures en 495.

Hunéric décède à la fin de l’année de 484, peut-être de la gangrène de Fournier si l’on en croit la description de son agonie par Victor de Vita. Il lui succède son neveu Gunthamund qui poursuit les persécutions envers les catholiques de rite nicéen. On lui doit entre autre l’exil de l’évêque Eugène de Carthage en 495 qui, condamné à mort, verra sa peine commuée à la déportation et mourra dix ans plus tard près d’Albi, après y avoir fondé un monastère. L’Eglise reconnut qu’il avait effectué des miracles. Par ailleurs son comportement exemplaire face aux brimades et tortures dont il fut victime eurent pour conséquence sa canonisation, sa fête est le 13 juillet.

Concile de Nicée

La communauté chrétienne tente de résister aux agissements vandales lorsque ceux-ci décident de confisquer des terres et de grandes propriétés ; c’est pour cela qu’on a conservé les noms d’une aristocratie latine comme Victorianus d’Hadrumète proconsul de Carthage ou le notable Servus de Thuburbo Maius. Mais, nombreux sont ceux qui renient leur foi pour embrasser l’arianisme. Victor de Vita les juge sévèrement.

Le successeur de Gunthamund, le roi Thrasamund poursuit les persécutions. C’est sous son règne que 120 évêques sont exilés en Sardaigne et qu’en 498 le corps de Saint Augustin y aurait été transporté. Gunthamund rappelle Fulgence à Carthage en 515 afin qu’il débatte avec des évêques ariens. Il y demeure jusqu’en 520, date à laquelle il est à nouveau banni consécutivement à des doléances du clergé arien. Mais après l’accession au trône de l’avant dernier roi vandale, Hildéric, Fulgence peut revenir à Ruspe où ses prédications font merveille. On peut s’étonner de la mansuétude d’Hildéric, mais il faut préciser que les persécutions des ariens envers les nicéens sont très mal vues de l’empereur byzantin Justinien qui exerce des pressions sur ces rois vandales afin de les convaincre à plus de modération. D’autre part, la mère d’Hildéric, Eudocia, est la fille de l’empereur byzantin Valentinien III ; à ce titre elle pratique la religion chrétienne selon les dogmes du concile de Nicée. Hildéric permet en 523 à un évêque nicéen – Bonifatius qui est consacré dans la basilique saint Agilée – d’occuper le siège épiscopal de Carthage. En 525, un concile se tient officiellement en la basilique saint Agile. Hildéric entretient de bonnes relations avec Justinien qui a accédé au trône de Byzance en 527. Mais il doit faire face à des révoltes de Maures de Byzacène qui lui infligent des défaites. Est-ce cela, ainsi que sa trop grande mansuétude envers les chrétiens nicéens qui causa sa perte ?

Le vandale Hildéric

L’empereur Justinien

Vers 530, Fulgence fait construire un monastère sur l’île de la grande Kerkhennah où il se retire en 532. Il meurt en 533 ; le roi Hildéric l’aura précédé en 530. Fulgence ne verra pas la chute du royaume vandale en 534, mais vraisemblablement il l’aura pressentie, car le dernier roi vandale Gélimer renverse Hildéric et après l’avoir fait assassiner rétablit l’arianisme à la grande fureur de Justinien qui envoie son général, Bélisaire afin de réduire le royaume vandale. Carthage tombe aux mains des Byzantins et devient « Colonia Justinia Carthago », en 534, puis Hippone, d’où Gelimer avait tenté de fuir vers l’Espagne ; c’en est fini du royaume vandale en Afrique de Nord.

Apparemment, l’occupation vandale aurait eu des conséquences néfastes sur la présence épiscopale en Afrique du Nord puisqu’en 483 on comptait 115 évêchés en Byzacène et 43 en 646. De même en Numidie on recensait 125 évêchés en Numidie contre 27 en 5407.

Une autre question demeure en suspens : quel impact a eu cette querelle schismatique du Vème siècle sur les Maures et les Numides de l’arrière pays ? Très éloignés des querelles religieuses, les Maures, seraient revenus au polythéisme. En effet, lors de la conquête byzantine du VIème siècle, les Grecs ont ferraillé contre des tribus païennes car l’occupation vandale a rendu leur indépendance à de nombreuses tribus maures. Incapables d’imposer une administration, de structurer la société selon leur système législatif, les Maures ont fondé des royaumes indépendants qui opposèrent une farouche résistance aux futurs occupants, les Byzantins. »

5 Fulgence était né en 468 à Thélepte, ville de Tunisie située à une vingtaine de kilomètres de Kasserine.
6 il s’agit de l’abbé Liberatus, du diacre Boniface, des sous diacres Servus et Rusticus, des moines Rogatus, Septimus et Maximus. Ce dernier devait être très jeune car il a été désigné sous le terme « infantulus » ( blog du Père Silvio Moreno, 6 mai 2015).
7 voir Joseph Cuoq, L’Eglise d’Afrique du IIème au XIIème siècle, Le Centurion, 1984, et Dominique Arnauld, Histoire du christianisme en Afrique, les sept premiers siècles, Karthala, 2001.

Gérard Crespo

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