En attendant, la sortie dans les jours qui viennent du nouvel ouvrage de l’historien Gérard Crespo consacré aux Espagnols en Afrique du Nord aux XIXème et XXème siècles, nous vous proposons son article sur la migration des Italiens en Algérie entre 1830 et 1962. Cet article est tiré de son ouvrage Les Italiens en Afrique du Nord aux XIXème et XXème siècles (disponible sur notre site), et des ses nombreuses conférences sur ce thème.
Introduction
Les relations entre la péninsule italienne et l’Algérie sont très anciennes. En 1161, Bougie signe un traité de commerce avec Gênes et en 1166 avec Pise. En 1186, est signé un traité de libre échange entre Oran et Pise. Au XVe siècle, Venise et Palerme commercent avec Alger, Bône et Oran. Mais l’occupation ottomane au début du XVIe siècle et l’arrivée des Frères Barberousse changent la donne. La nouvelle économie barbaresque est essentiellement basée sur la Course. Aussi, un nouveau type de commerce se met en place, celui du rachat d’esclaves. Alger et Cagliari en Sardaigne en sont les centres les plus florissants. Certains esclaves se convertissent, on les appelle des renégats, se mettent au service du dey et jouent un rôle important dans l’administration et l’armée; ainsi un Calabrais, Ulug Ali devient beyglerbey, Hassan Veneziano est un corsaire redoutable, un autre corsaire Ali Bitchnin de son vrai nom Piccinini fait édifier à Alger une mosquée qui deviendra une église, Notre Dame des Victoires.
Les réactions violentes des puissances européennes – Angleterre, France, Espagne, Grand-Duché de Toscane, royaume de Naples – contraignent le dey d’Alger au début du XIXe siècle à ralentir la Course et à accepter des échanges conformes au capitalisme marchand qui se développe dans le monde. Ainsi, en 1824, le royaume de Naples, puis en 1827 le royaume de Piémont Sardaigne nomment à Alger des représentants chargés de négocier des traités de commerce et de protéger les intérêts de leurs ressortissants. Ce sont essentiellement des pêcheurs sardes et napolitains, mais aussi siciliens, toscans et romains. En 1828, Rome installe à Alger un vicariat. Ce vicaire sera le premier à informer le Vatican du débarquement de Sidi Ferruch.
L’armée française en 1830 sitôt débarquée a un besoin urgent d’une population qui puisse l’approvisionner, l’aider en des tâches matérielles comme le terrassement, la construction… Deux populations euro-étrangères jouent ce rôle dès les premiers mois de la conquête : les Mahonnais (de Minorque) et les Italiens. Ils seront bien évidemment suivis par des Français et des Espagnols du continent.
Les frères Barberousse
L’ère des Pionniers, 1830-1847
Les Italiens débarquent donc très tôt sur le littoral algérien. Ce sont, nous l’avons dit essentiellement des pêcheurs, comme avant la conquête, mais leur nombre s’accroît, la présence française les sécurisant. Entre juillet et décembre 1830, un tiers des bateaux qui accostent en Algérie sont italiens. Les pêcheurs viennent pendant la saison favorable, s’installent temporairement sur le littoral, transportent avec eux le matériel de pêche, mais aussi ce qui est indispensable à leur alimentation. Occasionnellement, ils approvisionnent l’armée ; ils pratiquent le séchage et la salaison du poisson et la saison terminée, ils repartent vers l’Italie. Cette pratique sera courante pendant la première décennie de la conquête. Ils seront relativement mal vus de l’administration française qui les accuse de « prendre sans rien apporter » [à la colonisation]. D’autre part ces pêcheurs étaient soupçonnés de transporter une population douteuse qui se serait livrée à de petits trafics de contrebande. Autant d’éléments qui contribuent à ce que les autorités françaises ne désirent pas leur présence. Pourtant, force est de constater que les Italiens drainent une population entreprenante qui participe à la remise en valeur de La Calle et de Collo dès 1831. En 1831 et 1832, les exportations italiennes vers Alger sont supérieures aux exportations françaises ; l’Italie envoyant de l’alimentation, des tissus, du cuir, des cordages, des chaussures… En 1833, on compte 143 bateaux sardes qui viennent pêcher ou commercer en Algérie. En 1833 on recense 1 000 Italiens résidant de façon permanente à Alger ville. Dans le même temps, le vicaire italien présent à Alger depuis 1828, soucieux de la sauvegarde des âmes demande au Vatican l’envoi de Lazaristes.
Les pêcheurs et marins ne sont pas seuls à débarquer au cours de ces premières années de la conquête, puisqu’ils côtoient des maçons et des ouvriers du bâtiment. Ceux-ci contribuent selon la volonté des autorités françaises à atténuer les caractéristiques architecturales arabes d’Alger : « les noms de Citati, Parodi, Gambini » donnés à des passages de la ville en 1840 rappellent ce fait. Ces mêmes ouvriers reconstruisent Blida (ils sont entre 400 et 500) dans les années 1840 ; ils en repartiront lorsque la spéculation immobilière et foncière gagne tout l’Algérois en 1847. Ils suivent également l’armée de Bugeaud puisqu’on les retrouve à Orléansville dès 1846, secondant les militaires dans l’élaboration des fortifications et l’aménagement des routes. Ces migrants de la première heure se répartissent dans toute l’Algérie sous contrôle français. Ils privilégient certes le littoral, Collo et La Calle déjà cités, Bône, Philippeville, Alger qui abrite en 1845, la plus forte population italienne de l’Algérie, mais aussi l’ouest où Oran, Mers el Kébir et Nemours accueillent de nombreux Italiens. Une frange de cette population se disperse dans l’intérieur à Tlemcen, Sidi bel Abbès, Orléansville, Blida, Guelma et Constantine. En 1846, on recense 8 416 Italiens sur le sol algérien. Cette première migration s’interrompt brutalement avec les années 1848-1851 sous la conjonction de deux faits : la crise économique et l’épidémie de choléra qui ravage l’Algérie ; ou bien les Italiens sont décimés, ou ils rentrent au pays. Leur effectif à l’image des autres communautés européennes subit une baisse sensible au cours de cette période.
Le retour de la pêche par Joaquin Sorolla
Port de Bône au XIXe siècle par Léon Galibert
Bonjour,
Merci pour ces éclairages précis et précieux. Je suis moi même (né en 1950 à Ph/ville) descendant de pêcheurs napolitains de Philippeville et Stora (les Coppola, les Giubilato/Guibilato), venus là pour la plupart dans les années 1870 selon mes (courtes) recherches familiales.
Savez vous quelle type de pêche pratiquaient les gens venus du golfe de Naples ? J’ai entendu et lu: le corail donc et aussi les éponges, l’anchois (salaisons).
Bien cordialement
Gérard Guibilato