Dans son ouvrage, La Guerre de Jugurtha, Salluste rapporte la guerre entreprise en Afrique du Nord par les Romains contre le roi numide Jugurtha, entre 112 et 105 av. J.-C. L’historien romain qui vécut au Ier siècle av. J-C, propose une présentation générale de l’Afrique du Nord. Il connaît bien cette région pour y avoir séjourné pendant des années, il a aussi beaucoup lu les auteurs qui ont écrit sur cette région, certains dont les ouvrages ont aujourd’hui disparu.

Traduction de François Richard, 1933.
[17] XVII. – Mon sujet exige un court exposé sur la position de l’Afrique et quelques mots sur les nations que nous y avons eues pour ennemies ou pour alliées. Quant aux régions et aux peuplades qui, en raison de la chaleur, des difficultés de toute sorte et de leur état désertique, ont été moins visitées par les voyageurs, je ne saurais rien en dire de certain. Sur les autres, je m’expliquerai brièvement. Dans la division du globe, la plupart des auteurs ont fait de l’Afrique une troisième partie du monde ; quelques-uns ne comptent que l’Asie et l’Europe et placent l’Afrique en Europe. L’Afrique a pour limites, à l’ouest, le détroit qui réunit la méditerranée à l’Océan, à l’est un plateau incliné, appelé par les habitants Catabathmon (en grec une descente). La mer y est orageuse, la côte sans ports, la terre fertile, propre à l’élevage, sans arbres, sans eaux de pluie, sans sources. Les hommes sont vigoureux, agiles, rudes à l’ouvrage ; ils meurent généralement de vieillesse, sauf le cas de mort violente par le fer ou les bêtes féroces ; rarement ils succombent à la maladie. Les animaux malfaisants sont nombreux.
Quels ont été les premiers habitants de l’Afrique ? Quels sont ceux, qui y sont venus ensuite ? Comment s’est effectué le mélange ? Je pense sur ces points autrement que la majorité des auteurs. Les livres carthaginois attribués au roi Hiempsal m’ont été expliqués : ils s’accordent avec les idées des gens de là-bas ; je vais les résumer, laissant d’ailleurs aux auteurs la responsabilité de leurs dires.
[18] XVIII. – L’Afrique, au début, était habitée par les Gétules et les Libyens, rudes, grossiers, nourris de la chair des fauves, mangeant de l’herbe comme des bêtes. Ils n’obéissaient ni à des coutumes, ni à des lois, ni à des chefs ; errants, dispersés, ils s’arrêtaient à l’endroit que la nuit les empêchait de dépasser. Mais, après la mort d’Hercule en Espagne – croyance africaine, – son armée composée de peuples divers, ayant perdu son chef et voyant plusieurs rivaux se disputer le commandement, se débanda bien vite. Les Mèdes, les Perses, les Arméniens passèrent en Afrique sur des bateaux et occupèrent les territoires les plus rapprochés de la Méditerranée. Les Perses s’établirent plus près de l’Océan, renversèrent les coques de leurs navires pour en faire des cabanes, parce qu’ils ne trouvaient point de matériaux dans le pays et n’avaient aucun moyen de faire des achats ou des échanges en Espagne : l’étendue de la mer et leur ignorance de la langue leur interdisaient tout commerce.
Insensiblement, ils s’unirent aux Gétules par des mariages ; et, comme ils l’avaient fait dans plusieurs régions, allant sans cesse d’un lieu dans un autre, ils se donnèrent le nom de Nomades. Aujourd’hui encore, les maisons des paysans numides, qu’ils appellent mapalia, sont allongées, aux flancs cintrés, et font l’effet de carènes de bateaux.

Manuscrit vers 1490 de la Guerre de Jugurtha (Bellum lugurthinum) au Houghton Library, Bibliothèque de l’université Harvard
