Dans les pas de Guy de Maupassant

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Ces écrivains voyageurs… suite, cette semaine, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir l’inspiration algérienne dans l’œuvre de Guy de Maupassant.

Guy de Maupassant (1850-1893).

« Quel pays, mon cher ! Comme la vie y est douce ! » (Mohammed-Fripouille, 1884).

Maupassant a effectué cinq voyages en Algérie et en Tunisie, sources d’inspiration pour plusieurs de ses nouvelles et dont il gardera la nostalgie.
L’Algérie va notamment tenir une place particulière dans son œuvre. Ainsi, le héros de son roman « Bel-Ami », ancien sous-officier en Algérie, se lance dans le journalisme en racontant ses souvenirs de combat, puis nage dans les eaux troubles de la politique agitées par la colonisation de l’Afrique du Nord. L’auteur y fait la transposition, dans une imaginaire expédition au Maroc, de celle, bien réelle, de 1881 en Tunisie. Par ailleurs, trois nouvelles sont exclusivement consacrées à l’Algérie : « Maroca », « Mohammed-Fripouille », et « Allouma ». Pour lui, l’Algérie, c’est d’abord un décor somptueux, à commencer par Alger : « Alger a passé mes attentes. Qu’elle est jolie, la ville de neige sous l’éblouissante lumière ! Une immense terrasse longe le port, soutenue par des arcades élégantes… On regarde, extasié, cette cascade éclatante de maisons dégringolant les unes sur les autres du haut de la montagne jusqu’à la mer ». Bougie l’enchante aussi, avec son « merveilleux golfe, aussi beau que celui de Naples, que celui d’Ajaccio, que celui de Douarnenez, les plus admirables que je connaisse ». Ou encore Constantine, la « cité phénomène » qui le surprend, « Constantine l’étrange, gardée, comme par un serpent qui se roulerait à ses pieds, par le Roumel ; il fait une île de sa ville… il l’entoure d’un gouffre terrible et tortueux ». Il y admire aussi les aqueducs romains et le palais d’Hadj Ahmed, « un des plus complets échantillons de l’architecture arabe ». De même, il est fasciné par la région qui s’étend entre Alger et Cherchell, « magnifique… en même temps boisée et nue, grande et intime… il y a des creux, en des plis inconnus de montagne, d’une beauté terrifiante, et des bords de ruisselets, plats et couverts de lauriers-roses, d’une inimaginable grâce ».

L’Algérie et la Tunisie dans l’œuvre de Maupassant :
Récits de voyage :
– « Au Soleil » (1884) : 9 chapitres sur 12 (voyage de 1881) ;
– « La Vie errante » (1890) : 1 chapitre pour l’Algérie, et deux pour la Tunisie (voyage de 1888)
Nouvelles :
– « Marocca » (1882) ; « La Peur » (1882) ; « L’Orient » (1883) ; « L’Horrible » (1889) ; « Mohammed-Fripouille » (1884) ; « Allouma » (1889) ; « Un Soir » (1889)
Articles :
– Huit articles sur l’Algérie repris dans « Chroniques » (Editions 10/18, 1980)
Et des allusions à l’Algérie, à la Tunisie, et au Maroc dans « Bel-Ami » (1885).

Nous vous proposons un extrait du chapitre de « La Vie errante » consacré à la Tunisie.

Extrait : la mosquée de Kairouan
La mosquée proprement dite est à droite, prenant jour sur cette cour par dix-sept portes à double battant, que nous faisons ouvrir toutes grandes avant d’entrer. Je ne connais par le monde que trois édifices religieux qui m’aient donné l’émotion inattendue et foudroyante de ce barbare et surprenant monument : le mont Saint-Michel, Saint-Marc de Venise, et la chapelle Palatine à Palerme.
Ceux-là sont les œuvres raisonnées, étudiées, admirables, de grands architectes sûrs de leurs effets, pieux sans doute, mais artistes avant tout, qu’inspira l’amour des lignes, des formes et de la beauté décorative, autant et plus que l’amour de Dieu. Ici c’est autre chose. Un peuple fanatique, errant, à peine capable de construire des murs, venu sur une terre couverte de ruines laissées par ses prédécesseurs, y ramassa partout ce qui lui parut de plus beau, et, à son tour, avec ces débris de même style et de même ordre, éleva, mû par une inspiration sublime, une demeure à son Dieu, une demeure faite de morceaux arrachés aux villes croulantes, mais aussi parfaite et aussi magnifique que les plus pures conceptions des plus grands tailleurs de pierre.
Devant nous apparaît un temple démesuré, qui a l’air d’une forêt sacrée, car cent quatre-vingts colonnes d’onyx, de porphyre et de marbre supportent les voûtes de dix-sept nefs correspondant aux dix-sept portes.
Le regard s’arrête, se perd dans cet emmêlement profond de minces piliers ronds d’une élégance irréprochable, dont toutes les nuances se mêlent et s’harmonisent, et dont les chapiteaux byzantins, de l’école africaine et de l’école orientale, sont d’un travail rare et d’une diversité infinie. Quelques-uns m’ont paru d’une beauté parfaite. Le plus original peut-être représente un palmier tordu par le vent.
A mesure que j’avance en cette demeure divine, toutes les colonnes semblent se déplacer, tourner autour de moi et former des figures d’une régularité changeante.
Dans nos cathédrales gothiques, le grand effet est obtenu par la disproportion voulue de l’élévation avec la largeur. Ici, au contraire, l’harmonie unique de ce temple bas vient de la proportion et du nombre de ces fûts légers qui portent l’édifice, l’emplissent, le peuplent, le font ce qu’il est, créent sa grâce et sa grandeur. Leur multitude colorée donne à l’œil l’impression de l’illimité, tandis que l’étendue peu élevée de l’édifice donne à l’âme une sensation de pesanteur. Cela est vaste comme un monde, et on y est écrasé sous la puissance d’un Dieu. Le Dieu qui a inspiré cette œuvre d’art superbe est bien celui qui dicta le Coran, non point celui des Evangiles. Sa morale ingénieuse s’étend plus qu’elle ne s’élève, nous étonne par sa propagation plus qu’elle ne nous frappe par sa hauteur.

La Vie errante (1890)

Ils ont tant aimé l’Algérie – Dix écrivains-voyageurs à l’époque française

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