MNT vous propose de découvrir le dernier livre de Jean-Pierre Hollender, « Ces migrants qui ont fait l’Algérie française« , à travers des extraits choisis sur plusieurs semaines.
Pour commencer voici un passage de la nouvelle « Le clan des Siciliens« , retraçant l’arrivée en Algérie d’un couple originaire de Sicile. Toute ressemblance avec des personnages ayant existé est fortuite !!
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Quand Alberto Capone avait quitté Taormina, il ne pensait pas que son nom serait connu mondialement à cause de son cousin de Porto Vecchio qui portait le même nom et le même prénom (Al Capone). Tous deux avaient décidé à cause de la misère de leur terre natale, misère née de l’annexion de leur île par les riches du Nord, ces maudits piémontais qui ne parlaient pas le même italien qu’eux.
Tous deux ne comprenaient pas pourquoi on leur avait supprimé leur roi légitime Ferdinand.
Donc au même moment, la même année, ils avaient fui et avaient choisi l’exil plutôt que la précarité du maquis et des coupe-gorges. Le cousin était parti vers les États-Unis où il allait connaitre une éblouissante carrière dans la répartition rationnelle et accélérée d’un alcool appelé whisky, époque de la prohibition…c’est là que s’est développée la fameuse mafia dont les héros seront Marlon Brando, Lucky Marciano, Paul Newman…
Le nôtre plus prudent et moins aventureux avait choisi l’Algérie – à cet instant il faut préciser ce qui se racontait dans les paroisses en Italie où au prêche le prêtre mettait en garde les concitoyens contre ce pays où le pain s’appelait le roubs et le vin le schrab.
Aussi un matin il partit vers La Calle, destination pour laquelle il y avait seulement 8 heures de balancelle de Taormina à La Calle.
Avant de partir il avait épousé Brigitte Almafitano, une lointaine cousine blonde aux yeux bleus – il faut préciser que cela pourrait paraître étonnant mais il faut rappeler que les Normands avaient occupé l’île au IXe et Xe siècles ce qui explique cette carnation chez cette jeune épousée.
Le cousin Nicastro lui avait assuré qu’il trouverait assez vite un boulot dans ce pays barbaresque (nom que portait l’Algérie avant que Louis-Philippe lui donne un nom) où tout était à construire même les routes et les ponts, et où les « indigènes » étaient des fainéants toujours fatigués et allongés à l’ombre des figuiers et les Français des alcooliques ne pensant qu’à forniquer. En tant que maçon, il aurait de suite un travail, on lui avait conseillé et précisé d’aller directement à la capitale – il faut préciser au cours de ce texte que Constantine était considéré par beaucoup d’autochtones comme la capitale du pays car elle avait été effectivement le chef-lieu de la Numidie, un pays qui partait du pays kroumir en Tunisie au dernier bastion du pays kabyle. A l’époque la ville s’appelait Cirta et avait été un haut lieu de la résistance contre l’occupation romaine, avec Sifax, Massinissa et surtout Jugurtha. C’est le dernier roi numide Juba II totalement élevé à Rome qui avait déplacé les dernières années la capitale de ce royaume pour la transporter à Césarée (Cherchell).
Toujours en portant sa malle à dos d’homme, il reprit un voilier pour se rendre à Stora, petit port déjà peuplé de Napolitains et de Siciliens, tous consacrant leur vie à la pêche professionnelle. Il avait retrouvé là son cousin Ambrosino qu’il assura aussi de trouver de suite du travail en allant voir l’architecte Drouot qui cherchait sans cesse des tacherons pour tous les travaux qu’il avait entrepris dont la construction d’une passerelle suspendu au-dessus d’un gouffre impressionnant de 200 mètres. Avec sa jeune épouse qui le suivait avec l’abnégation de la sagesse, il prit le train à Russicade devenu Philippeville en l’honneur du roi Louis-Philippe.
Après trois heures de train pour 80 km il arriva enfin à cette ville inquiétante juchée sur un grand rocher et construite sur les deux bords d’un gouffre immense : le Rhummel y coulait en simple petit rue en été et à grands flots boueux en fin d’hiver et au printemps.
Ce trajet en train avait fasciné ces exilés. En effet, il y avait presque tous les dix kilomètres une petite gare où montait ou descendait un foule houleuse hétéroclite au milieu d’appels incompréhensibles (en arabe). Ils montaient tous avec des panier d’osier, des couffins, des volailles et même parfois un mouton ou une chèvre, et tout cela en piaillant dans une langue qu’il ne comprenait pas. On peut même affirmer que ça sentait le bouc à plein nez.
Le convoi arriva enfin après un long tunnel et déboucha dans la gare de Constantine.
Là, Capone fut rassuré : il y avait du boulot pour tous ceux qui n’avaient pas les côtes en long, effectivement, une passerelle au-dessus de ce grand gouffre était en chantier de l’autre côté du rocher également on rasait une colline pour y construire un nouveau quartier et des maisons bourgeoises. On se servait de cette terre récupérée pour établir une grande avenue qui menait au vieux rocher.
Alberto avait enfin pu se débarrasser de sa malle sur un charton tiré par un mulet. Son cousin lui avait trouvé un petit logement dans le nouveau quartier de la ville nommé El Kantara, quartier essentiellement habité par des Corses, des Napolitains et des Siciliens. Le lendemain de son arrivée, toujours sur le conseil d’Ambrosino il avait rencontré le contremaître qui travaillait avec son équipe sous les ordres de l’architecte Drouot qui l’engagea aussitôt pour participer à la construction de cette passerelle nommé Sidi M’Cid au-dessus du fameux grand gouffre. Brigitte un peu inquiète dit à son époux : « fais attention de ne pas trop de pencher pour ne pas tomber dans le trou parce que là jamais du remontes ». Grâce à sa régularité et son sérieux, Capone s’était vite fait un nom dans le métier des maçons et des platriers.
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