Les SAS en Algérie (2/3)

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I/ L’implantation des SAS en Algérie

La conquête matérielle doit s’accompagner de la conquête des âmes. Malheur aux maîtres de l’Afrique qui ne le comprendront pas ! Pour conquérir les âmes, il faut d’abord multiplier les contacts avec les populations ; il faut parler un langage simple et dépouillé et il faut parler le même langage(12).

Une opération pilote d’implantation des SAS a lieu dans le massif des Aurès au printemps 1955(13) sous la direction du général Parlange. Deux mois plus tard, le général en fait un premier bilan : « certains résultats sont localement sensibles mais ne doivent pas pour autant nous faire crier au succès »(14), des résultats néanmoins suffisamment prometteurs pour convaincre Jacques Soustelle de continuer l’expérience en généralisant l’implantation des SAS. Sa formation d’ethnologue explique aussi ce choix politique puisqu’il s’agit d’être au plus près des populations pour mieux les connaitre et les aider(15). Dans ce contexte, un arrêté du 26 septembre 1955 crée le service des Affaires algériennes rattaché au cabinet militaire du gouverneur général, administration support et tutelle des SAS.

Général Parlange

Les SAS sont souvent installées en dehors des périphéries des grandes villes, isolées dans le bled, là où les traces de la présence française sont quasi-inexistantes et où il n’y a souvent que très peu, voire aucune population européenne. Chaque SAS gère en moyenne une dizaine de milliers d’habitants pour une superficie de circonscription qui varie entre une centaine et un millier de kilomètres carrés. Une fois l’officier SAS nommé et les attachés civils et militaires recrutés, il se voit octroyer deux véhicules, un poste radio et un budget de fonctionnement annuel de 15 millions d’anciens francs. Le rythme de création des SAS est soutenu : entre mai 1955 et décembre 1956, elles passent de 30 à 490 (soit 23 SAS en moyenne par mois), mais la progression se ralentit entre janvier 1957 et juillet 1958, passant de 490 à 590 (soit 5 SAS en moyenne par mois), pour atteindre le chiffre de 700 en 1961. Le recrutement se fait en principe sur la base du volontariat, autant parmi les officiers d’active que de réserve provenant de toutes les armes, mais comme le souligne Nicolas d’Andoque, « une SAS c’est d’abord et surtout un chef de SAS. Le recrutement en fut difficile…. On fit appel à l’armée, où le volontariat est la norme […] mais à partir de 1959, les authentiques volontaires se font rares dans l’armée d’active »(16). Pourtant, aucune condition particulière n’est exigée, et malgré des incitations financières, le nombre de volontaires est insuffisant d’où des nominations d’office(17). Dès lors, les SAS seront composées majoritairement d’officiers de réserve, un inconvénient car ces derniers peuvent à tout moment résilier leur contrat pour retourner dans le civil. La situation est donc la suivante : seuls 250 chefs de SAS sur 700 sont de carrière(18). Pour les préparer au terrain, des stages sont organisés : apprentissage de rudiments d’arabe et de kabyle, formation de sociologie musulmane, voyages d’étude. Mais la connaissance du pays et de l’Islam indispensable pour mener à bien leur mission laisse à désirer, la plupart des officiers appelés (hormis les anciens venus des Affaires Indigènes du Maroc ou des Affaires Sahariennes) découvrent l’Algérie après les classes suivies en métropole. Chaque SAS dépend hiérarchiquement du sous-préfet, mais est aussi en rapport avec le commandant de compagnie pour toutes les affaires militaires. L’officier fait donc partie de la hiérarchie militaire par son statut, mais il est aussi en dehors de cette hiérarchie par son appartenance au corps civil des Affaires algériennes(19). Pour accomplir ses missions, l’officier SAS dispose en théorie d’un adjoint (sous-officier), d’assistants militaires ou civils faisant office de comptable, secrétaire, interprète, radio, auxquels s’ajoutent le cas échéant une ou plusieurs auxiliaires féminines des Affaires algériennes (les ASSRA(20)), un médecin militaire, un instituteur et un moniteur. Enfin, pour accomplir sa mission militaire de maintien de l’ordre, la SAS dispose d’un élément de protection le maghzen composé d’une trentaine de moghaznis(21).

Couverture de la revue des SAS

La mission civile des SAS recouvre des domaines extrêmement variés : administratif, économique, sanitaire, social, éducatif. Dans ce cadre, elles vont notamment être les artisans de la réforme communale de 1956, consécutive à la disparition des communes mixtes, ouvrant le champ à la pratique de la démocratie. Ainsi, les officiers sont nommés provisoirement délégués spéciaux de ces nouvelles communes, afin d’en assurer la tutelle jusqu’à l’organisation d’élections de conseils municipaux. En pratique, ils remplacent le maire dans toutes ses missions, ce qui lui permet d’être au plus près des populations notamment dans le règlement des « chicayas » sans être néanmoins investi d’un pouvoir de police judiciaire(22). Mais c’est bien l’action sanitaire et sociale qui constitue un aspect majeur de leur mission de pacification. En effet, si l’on se réfère à la vocation même de l’institution voulue par Jacques Soustelle et Germaine Tillion(23), tous deux ethnologues de formation, les enjeux sanitaires et sociaux sont essentiels. Il faut en effet limiter l’impact négatif des opérations militaires et réparer les préjudices causés par les troupes offensives. En définitive, améliorer la condition des musulmans en mettant en place une aide médicale gratuite (AMG), en multipliant les actions de bienfaisance, en les faisant accéder aux aides sociales, en leur donnant du travail par la mise en œuvre de chantiers, en construisant des logements et des écoles, en favorisant l’émancipation de la femme musulmane. Cette mission sanitaire, sociale et éducative doit être étudiée à la lumière des archives pour en comprendre l’étendue et la diversité.

Germaine Tillion


(12) Propos du général Parlange dans son rapport du 22 juillet 1955 : « Les sections administratives spécialisées : un outil pour la stabilisation », Cahier de la recherche doctrinale, 2005, p. 17.
(13) Directive générale du 3 avril 1955.
(14) Grégor Mathias, Les Sections administratives spécialisées en Algérie, entre idéal et réalité, op. cit., p. 23.
(15) Son expérience au Mexique en 1932 pour participer au programme d’intégration des indiens influencera sans doute son choix.
(16) Nicolas d’Andoque, Guerre et paix en Algérie. L’épopée silencieuse des SAS, 1955-1962, SPL, 1977, p. 46-47. L’auteur est un ancien officier responsable de SAS.
(17) Un officier SAS perçoit son indemnité de grade, une indemnité exceptionnelle de zone opérationnelle, une indemnité des Affaires algériennes en fonction du grade et une indemnité de représentation.
(18) On peut relever un personnel de qualité chez les officiers de réserve issus de l’ENA comme de l’Ecole Nationale de la France d’outre-mer, mais encore des personnalités aussi différentes que l’abbé Christian de Chergé supérieur du monastère de Notre-Dame de l’Atlas à Tibhirine (popularisé par le film Des hommes et des dieux, Vladimir Volkoff), ou bien encore Jean-Pierre Chevènement…
(19) Dépendance rappelée par le décret présidentiel du 2 septembre 1959.
(20) Adjointe sanitaire et sociale auxiliaire, personnel féminin à vocation sociale et paramédicale remplacé en 1957 par les EMSI équipes médico-sociales itinérantes placées sous la protection d’unités militaires pour sillonner les zones rurales.
(21) Les moghaznis sont des supplétifs recrutés par contrats courts (6 ou 12 mois) et payés sur le budget civil. Ils représentent un effectif total de 20 000 hommes en 1960. En 1960, les SAS emploient 21 661 personnes, dont 1 308 officiers, 592 sous-officiers, 2 854 attachés (radios, secrétaires, interprètes, infirmiers). Sur cette mission militaire : Grégor Mathias, Les Sections administratives spécialisées en Algérie, entre idéal et réalité, op. cit., p. 108-117.
(22) Il peut s’agir de petits litiges relatifs à des problèmes de voisinage, de recouvrement de créances diverses etc.
(23) L’ethnologue Germaine Tillion a notamment travaillé sur l’ethnie des Chaouias dans l’Aurès, membre du cabinet du gouverneur général Jacques Soustelle en 1955, elle est chargée des affaires sociales et éducatives.

Bénédicte Hollender

A suivre la semaine prochaine…

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